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« Un autre motif m’a empêché de vous donner des détails sur la fusillade de Dumouriez, le voici: C’est que j’eusse été obligé de blâmer la conduite de quelques individus qui ont fait manquer en partie le projet que j’avais conçu pour sauver la république de la crise où la jetaient les trahisons de ce monstre; la vérité m’eût forcé de dire que si l’on n’avait pas ralenti l’ardeur des volontaires, si on n’avait pas crié en retraite, nous tenions Dumouriez; son cheval avait été blessé sous lui, onze chevaux de sa suite étaient pris, l’Escaut était là qui lui fermait toute retraite, nous étions sur le point de le joindre puisque nos balles l’atteignaient, et c’est le moment qu’on a choisi pour crier en retraite ! Les volontaires ignorant ce qui se passait derrière eux n’ont pu faire autrement que d’obéir à cet ordre, et Dumouriez nous a échappé. J’en ai déjà dit plus que je ne voulais sur cette affaire, je laisse à ceux qui le voudront, au conseil d’administration, s’il le désire, à instruire nos concitoyens qui savent ceux qui, dans cette occasion et dans bien d’autres, ont bien mérité ou démérité de la patrie. »


A la manière dont cette expédition est présentée, on voit que Davout la regarde comme son œuvre personnelle, qu’il avait engagé à sa réussite son jeune orgueil et l’honneur de son bataillon, et qu’il a ressenti comme une demi-trahison l’ordre fâcheux de retraite qui l’a fait échouer.

Ces rapports font mieux que nous révéler le Davout des premiers jours qui va mûrir si vite au feu des événemens, ils nous donnent la clé du Davout véritable et définitif, de celui que l’histoire connaît seul. On y sent, même au milieu des illusions révolutionnaires, une âme opiniâtre avec feu, animée d’une légitime ambition, qui s’est sondée, a reconnu sa valeur, se sent sûre d’elle-même et ne permettra pas qu’on la méconnaisse. Ses moindres mots respirent une confiance invincible en ses facultés de commandement. Et ne croyez pas que cette effervescence républicaine lui fasse jamais oublier les lois de l’ordre nécessaire à toute armée. Ce n’est pas lui qui confondra jamais la liberté propre au soldat avec la liberté propre au citoyen. Dès le premier jour de sa vie militaire, il sait que la discipline est la condition essentielle de la guerre, et il s’applaudit de la trouver autour de lui stricte, sévère et acceptée comme légitime. « Non, citoyens, écrit-il dans un rapport daté du 4 septembre 1792, jamais vous ne verrez aucune délibération quelconque de la part de vos frères du troisième bataillon de l’Yonne, qui savent combien les délibérations des corps d’armée sont illicites et en même temps attentatoires à la liberté et à l’égalité. » C’est déjà le langage de l’homme qui, plus tard, dans un ordre du jour daté de Breslau, en 1807, prononçait ces remarquables paroles :