Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/663

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au moment même où s’achevait à Paris la révolution commencée le 31 mai. Comme il était à peu près matériellement impossible que la nouvelle en fût arrivée au camp sous Cambrai, où se trouvait alors Davout, il faut en conclure que les sentimens dont elles témoignent n’ont rien dû aux circonstances et étaient chez lui de plus ancienne date. Ennemi déclaré de la gironde, faut-il admettre pour cela qu’il fût partisan de la montagne ? Nous croyons plutôt qu’il faut dire qu’il fut en tout temps partisan déclaré de l’unité de pouvoir et de la prépondérance de l’état. Nous en avons pour preuve une lettre écrite peu avant l’émeute du 1er prairial 95 à son compatriote Bourbotte, qui, comme on le sait, paya de sa vie en compagnie de l’homme, Ruhl, Soubrany et autres cette tentative de résurrection terroriste. Cette lettre, connue depuis longtemps, est fort belle, et Davout s’y montre aussi tiède pour la montagne que nous venons de le voir ardent contre la gironde. Ce qui lui déplaît visiblement avant tout, c’est l’esprit de secte dans lequel il voit un agent d’anarchie et de guerre civile, et un obstacle malfaisant à l’établissement d’un gouvernement vraiment national qui ne tienne compte que de la patrie. Et dans son ardeur antigirondine de 93, et dans ses répugnances antijacobines de 95, on sent également l’élément premier de l’opinion qui allait se former dans les camps aux dépens de tous les partis, l’embryon de l’ordre futur dont il devait être un si ferme défenseur.

A la distance où nous sommes de ces formidables années, et de sang-froid comme nous le sommes, il est d’ailleurs fort difficile de se rendre un compte exact de l’influence que les événemens dans leur rapidité vertigineuse exerçaient sur le langage et le ton des acteurs contemporains. Si les paroles que nous avons citées plus haut vous paraissent trop incandescentes, songez que la rédaction du rapport d’où nous les détachons a coïncidé avec la trahison de Dumouriez, que le jeune officier en a été témoin, qu’il s’est même mis à la poursuite du général fugitif, et que par conséquent elles ont été écrites sous le coup de l’indignation excitée par cette défection. Quelques lignes plus bas en effet nous trouvons les détails suivans sur cette poursuite jusqu’ici à peu près ignorée, mais qui appartient à double titre à la grande histoire, et parce qu’elle se lie à l’une des crises les plus importantes de la révolution, et parce qu’elle est la première apparition sérieuse de Louis Davout sur la scène de l’histoire. Davout s’excuse sur l’exigence de ses devoirs militaires du retard qu’il a mis à rendre compte aux administrateurs de l’Yonne de cette action dont la convention nationale les a déjà félicités, et fait suivre ces excuses de ce récit plein de véhémence juvénile.