Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/661

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’action plus qu’aux paroles; mais ce taciturne avait, quand il le fallait, des mots à l’avenant de ses actes où son caractère se peint tout entier, des mots d’une portée sombre et d’une mâle allure, faisant aussi grand tapage avec sang-froid. Le Davout que nous venons de décrire n’est-il pas tout entier dans cette allocution au moment de la surprise d’Auerstaedt faite pour troubler les plus hardis courages : « Le grand Frédéric a dit que c’étaient les gros bataillons qui gagnaient la victoire, il en a menti, ce sont les plus entêtés. Faites comme votre maréchal, en avant! » Et ce qu’on peut appeler la religion de l’homme de guerre n’est-elle pas tout entière dans ce mot admirable au matin d’Eylau : « Les braves mourront ici, les lâches iront mourir en Sibérie. » Je dis bien la religion de l’homme de guerre, car ce mot, qu’est-il sinon le résumé inconscient de ce culte de la vaillance par lequel l’antique Odin apprit à ses Scandinaves que toute vertu est contenue dans le courage et tout vice dans la lâcheté ?

Élevé non à l’école de Brienne, comme quelques biographes l’ont dit à tort, mais à l’école militaire d’Auxerre, puis à celle de Paris, nous le trouvons au moment où s’ouvre la révolution française officier comme son père au régiment de Royal-Champagne cavalerie. Ce qu’il était physiquement à cette époque, un portrait de famille gravé par les soins de l’éditeur et placé en tête des présens mémoires, nous l’apprend d’une manière charmante. C’était un joli jeune officier d’un front superbe qu’une calvitie précocement menaçante laissait déjà tout à découvert, de traits délicats et mâles en même temps, d’une physionomie à la fois douce et peu endurante, d’un air juvénilement sentimental tempéré par je ne sais quelle ironie étouffée qui semble rire au fond de l’âme. Les yeux sont longs, profondément enfoncés sous des sourcils proéminens, ouverts comme avec peine, affectés d’un léger strabisme, tous signes manifestes de la myopie bien connue du futur maréchal. Ce qu’il était au moral, les extraits de ses cahiers de lecture que sa fille nous donne, un peu trop abondamment peut-être, sont là pour l’attester. Qui le croirait cependant? les habitudes studieuses dont témoignent ces cahiers lui avaient fait dans son entourage une réputation de rêveur impropre à la vie pratique. Il y avait notamment dans ce régiment de Royal-Champagne, où il servait comme lieutenant, Un certain major, son propre cousin, qui, ne pouvant se figurer un officier français sous la forme d’un rat de bibliothèque, confiait sentencieusement à son carnet de poche ce pronostic fâcheux : « Notre petit cousin Louis lit les philosophes et n’entendra jamais rien à son métier. » On ne nous dit pas si ce juge pénétrant des caractères vécut assez pour entendre parler d’Auerstaedt, d’Eckmühl, de la retraite de Russie, de la défense de Hambourg ; mais voilà qui