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qu’on fasse, une fatigue. Mais tel homme qui passe pour paresseux emploiera toute sa journée à la chasse, et souvent sans résultat. Ainsi on ne recule devant nulle fatigue, souvent sans résultat. C’est donc en excitant la passion qu’on excitera au travail. Ainsi, suivant Fourier, la paresse n’est pas une passion primordiale et simple : c’est le contre-coup de la subversion de nos penchans naturels. Reste la question des travaux répugnans. Fourier croit résoudre la difficulté en faisant remarquer le goût des enfans pour la malpropreté. Il croit qu’en utilisant ce goût et en exaltant le sentiment de l’honneur, on arrivera à faire produire par goût ce qui nous paraît aujourd’hui affreusement répugnant. Telle est la théorie célèbre des « petites hordes », dont on s’est tant amusé et sur laquelle il est inutile d’insister.

Il y a beaucoup de vérité psychologique dans les vues de Fourier sur le travail attrayant; néanmoins sa démonstration est encore bien vague, et notamment on peut y signaler une équivoque perpétuelle et singulière entre les goûts de consommation et les goûts de production, et une conclusion illégitime des uns aux autres. Il croit que parce qu’on a du goût à jouir d’une chose, on a par là même du goût à la produire. Il choisit pour exemple le goût que les uns ont pour le pain salé, les autres pour le pain demi-salé, d’autres enfin pour le pain sans sel. Soit; admettons ces trois espèces de goût; s’ensuit-il qu’il y ait des gens qui aient du plaisir à faire du pain sans sel et d’autres à faire du pain salé? La présence ou l’absence du sel a de l’importance pour celui qui jouit, mais n’en a aucune pour celui qui fabrique; et en général, de ce que j’aime à jouir d’une chose, il ne s’ensuit pas que j’aie du plaisir à la produire. Faire un bon repas n’est pas la même chose que faire la cuisine; le plus gourmet ne sera pas nécessairement le meilleur rôtisseur. Quand il s’agit de jouir, il n’y a à tenir compte que du plaisir; quand il s’agit de produire, il faut tenir compte de la difficulté. Il y a même des goûts où il est impossible de se satisfaire soi-même : par exemple, celui qui aime les beaux vers et les beaux tableaux, ne sera pas pour cela un grand peintre ou un grand poète. Ainsi les deux séries des consommateurs et des producteurs ne se répondent pas l’une à l’autre, et cependant Fourier choisit presque toujours pour exemple les groupes de consommation, parce que là, en effet, il est bien plus facile de comparer des séries graduées. Ce qu’il eût fallu prouver, ce n’est pas que tous les goûts sont bons, mais qu’il y a des goûts et même des passions pour toutes les espèces et toutes les subdivisions de travail qui sont nécessaires à l’homme, et que ces goûts sont plus nombreux en raison de l’utilité ou de la nécessité des travaux. Or Fourier ne s’est jamais occupé de ce côté de la question. Il suppose toujours que, par cela seul que