Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/649

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’il y a assez de goûts pour former des ligues, c’est-à-dire des groupes associés. De plus, cette association doit être agricole. C’est en effet à l’agriculture que ce système s’applique particulièrement. Ce sont les travaux de la campagne qui se prêtent le mieux à la formation de séries et de groupes, aux alternances, aux engrenages, à tous les mouvemens en un mot qu’exige la loi du mécanisme sériaire.

Mais de là même naissait pour le système une difficulté que Fourier ne résolvait pas et qu’il n’a pas même examinée. En supposant qu’il s’appliquât en effet à l’agriculture, était-il également applicable à l’industrie manufacturière et commerciale? A priori, sans doute, il n’y a rien là d’impossible. Mais il se présente ici des difficultés particulières qui eussent mérité l’examen. En effet, dans Fourier les exemples de séries sont toujours pris à l’agriculture, et surtout au jardinage. C’est toujours la série des poiristes, des rosistes, etc., que l’on nous propose comme modèles. On ne réfléchissait pas assez que la série soi-disant passionnelle se calquait tout simplement sur la série végétale donnée par l’histoire naturelle. La nature et l’art ayant créé des variétés de roses, des variétés de poires, on supposait (arbitrairement d’ailleurs), que la passion des roses et des poires se subdivisait en autant d’espèces qu’il y avait de variétés. Mais en est-il de même dans l’industrie? Peut-on diviser la passion en proportion de la division du travail? Y a-t-il des gens qui aiment la tête d’une épingle, et d’autres qui en aiment la pointe? De plus, l’industrie se prête-t-elle comme l’agriculture aux courtes séances, aux alternances, à tous ces jeux du travail attrayant qui eussent fait du phalanstère, suivant Fourier, un véritable paradis, si toutefois le changement perpétuel est aussi agréable qu’il se le figurait? L’industrie veut au contraire la continuité, la répétition incessante. L’extrême habileté y résulte de l’extrême spécialité. Quoi qu’il en soit de cette critique, une réunion de quatre cents familles liées en séries et en groupes industriels, exploitant une lieue carrée du sol, sous le gouvernement d’une régence, est ce que l’on appelle une « phalange, » et la ville ou le village habité par la phalange s’appellera « phalanstère. »

Pour bien comprendre l’association phalanstérienne, comparons-la à l’association saint-simonienne? Il y a deux différences principales. D’une part, la phalange est une association libre fondée dans une société quelconque par l’initiative privée, tandis que l’association saint-simonienne enveloppe nécessairement la société tout entière. Fourier a toujours demandé ce qu’il appelait une « épreuve locale, » pensant que l’attrait seul suffirait pour entraîner le reste des hommes : deux ou trois ans devaient suffire pour convertir le globe tout entier.