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de toutes ses passions sans se nuire à soi-même et sans nuire aux autres : tel est le problème dont la loi sériaire ou le mécanisme sériaire nous donne la solution.

La loi sériaire est une loi de la nature, c’est la loi que Dieu lui-même a employée dans la formation des êtres. Les différens règnes naturels sont en effet groupés par séries. Ce sont ces groupes qui ont permis les classifications des naturalistes. Les animaux rangés par divisions et sous-divisions, depuis les embranchemens jusqu’aux variétés, forment une échelle et une hiérarchie. Ce que l’on appelle la méthode naturelle n’est autre chose que le travail par lequel le naturaliste essaie de reproduire dans ses cadres cet ordre et cette hiérarchie. Si Dieu a appliqué cette loi au règne animal, pourquoi ne l’aurait-il pas appliquée au genre humain? Comme il y a une série animale, pourquoi n’y aurait-il pas une série passionnelle? L’homme serait-il « hors d’unité avec l’univers? » Il y aurait donc duplicité de système; rien ne serait plus contraire au principe de l’économie de ressort.

Comment se représenter cependant la série appliquée aux passions ? Le voici : « La série passionnelle, dit Fourier, est une ligue, une affiliation de diverses petites corporations dont chacune exerce quelque espèce d’une passion, qui devient passion de genre pour la série entière. Par exemple, vingt groupes cultivant vingt sortes de roses forment une série de résistes quant au genre, et de blancs-rosistes, de jaunes-rosistes, de mousse-rosistes quant aux espèces. » On se demandera en quoi la loi sériaire est un moyen d’établir l’accord et l’harmonie des passions, et par conséquent d’assurer le bonheur. C’est que l’harmonie des passions n’est possible qu’à deux conditions : la première, c’est que les passions soient nombreuses; la seconde, qu’elles soient graduées : cette seconde condition suppose la première, car il est impossible de graduer les passions s’il n’y en a pas un grand nombre.

Supposons en effet un petit nombre de passions qui ne soient pas divisées en sous-passions, celles-ci subdivisées à leur tour en nuances de plus en plus faibles; dans ce cas, nul accord possible. Entre deux extrêmes point de transition, et par conséquent point de transaction ; même un seul moyen terme ne suffirait pas : de là lutte et discorde allant jusqu’à l’animosité. Supposons, dit Fourier, qui aime à emprunter tous ses exemples à la cuisine, supposons trois personnes dînant ensemble. L’une aime le pain très salé, l’autre demi-salé, l’autre point du tout. Nul accord possible, en supposant qu’il n’y ait qu’un pain à se partager. Supposons au contraire trente personnes aimant chacune le pain à un degré de cuisson ou de salaison différente; aussitôt il s’établira des groupes, des sous-groupes qui se feront contrepoids les uns aux autres, qui