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c’est-à-dire toutes nos passions sensitives ou affectives, trouvant leur satisfaction, où les sens et le cœur soient à la fois satisfaits, cet état est ce qu’on appelle le bonheur. Le bonheur, suivant Fourier, doit être « bi-composé; » c’est-à-dire qu’il doit être, d’une part, composé, à la fois sensuel et spirituel; en second lieu, qu’il doit nous fournir, à chacun de ces deux points de vue, une double jouissance, c’est-à-dire deux jouissances des sens et deux jouissances de l’âme; et encore n’est-ce là qu’un minimum, car l’homme, selon Fourier, est capable de a plaisir puissantiel, » c’est-à-dire de plaisir cumulé.

Or, nous avons vu précédemment que Dieu nous doit le bonheur et qu’il eût été un bien mauvais mécanicien s’il nous avait donné le désir du bonheur sans le moyen de le satisfaire. Comment résoudre le problème? D’un côté en effet, le bonheur est dans la satisfaction des passions, ou comme s’exprime Fourier dans « l’essor continu et intégral des passions radicales. » D’un autre côté, dans l’ordre social tel que nous le connaissons, les passions sont « des tigres déchaînés, des êtres démoniaques. » D’où l’on a conclu qu’elles étaient nos ennemis naturels et qu’il fallait les détruire ou les réprimer. C’était mal conclure, car sont-ce bien nos passions qui sont nos ennemis? Ne serait-ce pas plutôt le milieu dans lequel elles se développent, c’est-à-dire le mécanisme civilisé? Au lieu de changer et de détruire nos passions, ce que l’on n’a jamais pu faire, ne serait-ce pas le mécanisme lui-même qu’il faudrait changer?

Si les philosophes avaient mieux étudié la nature humaine, ils auraient trouvé dans nos passions elles-mêmes la loi de leur mécanisme naturel. Ils auraient vu qu’il y a en nous des passions, qu’ils ont appelées des vices, parce qu’ils n’en comprenaient pas la raison d’être et le but, et qui tendent précisément à l’harmonie des autres passions : ce sont celles qui forment le troisième groupe ou foyer d’attraction, tendant à la formation des a séries, » et que Fourier appelle sériisme. De plus, comme ces passions ont pour objet propre de déterminer le mécanisme des autres passions, Fourier les appelle mécanisantes ; enfin, comme elles mettent un certain ordre, un certain rythme dans le jeu des autres ressorts, il les nomme aussi distributives. Quelles sont ces trois passions pivotales, qui jouent un rôle si considérable dans la théorie de Charles Fourier? Nous le verrons tout à l’heure; mais, puisqu’elles se rattachent toutes trois à un foyer principal qui est le sériisme, puisqu’elles tendent à la formation des séries, demandons-nous ce que c’est qu’une série dans la mécanique phalanstérienne.

Reprenons encore une fois le problème à résoudre. Le voici : assurer à toutes nos passions le libre essor dans leur jeu interne et externe, c’est-à-dire permettre à chaque homme la satisfaction