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au problème moral. Car, en morale, on ne connaît guère que trois solutions : ou réprimer les passions au nom du devoir; — ou réprimer les passions au nom de l’utile; — ou s’abandonner à toutes les passions. Or la première est contraire à la sagesse de Dieu, comme nous l’avons montré. La seconde est plus près de la vérité ; mais, ne sachant pas que les passions s’ordonnent elles-mêmes quand on en connaît la loi, c’est toujours dans la répression que l’on cherche la solution. Enfin l’abandon à toutes les passions est impossible en civilisation. La solution de Fourier est bien en effet l’abandon libre aux passions, mais à la condition d’en découvrir la loi et le mécanisme. Il ne s’agit pas de changer les passions, mais d’en changer la marche, — elles tendent d’elles-mêmes à la concorde. Les maux qu’on leur impute ne viennent pas d’elles, mais du milieu social, c’est-à-dire du mode de leur application. C’est ce mode qu’il faut chercher. Nous avons découvert le principe, à savoir l’attraction passionnelle. Il faut chercher maintenant le mécanisme, c’est-à-dire le moyen, passer de la théorie à la pratique, du problème philosophique au problème économique et social.


III.

Nous venons d’étudier la première théorie de Fourier, à savoir l’attraction passionnelle : nous avons maintenant à exposer la seconde, la théorie de l’association ; mais, entre les deux et pour passer de l’une à l’autre, il y a une théorie intermédiaire qui appartient encore à la philosophie du système : c’est celle du mécanisme passionnel. Le mécanisme passionnel et l’association domestique-agricole sont deux doctrines liées l’une à l’autre; l’une est la clé de l’autre. Car c’est le mécanisme des passions qui conduit nécessairement à la vraie théorie du mécanisme social.

Pour comprendre le mécanisme passionnel, il faut d’abord étudier les passions, qui sont les modes ou espèces de l’attraction passionnelle. Cette attraction est l’impulsion donnée par la nature avant toute réflexion, et persistant malgré toutes les protestations de la raison. Autant il y a d’impulsions de ce genre, autant il y a de passions primitives. Suivant Fourier, il y en a douze, lesquelles se ramènent à trois principes ou foyers d’attraction. En premier lieu, l’homme est porté au « luxe. » Fourier entend par là le goût du bien-être intérieur ou extérieur, santé ou richesse : c’est là une première classe de passions. En second lieu, l’homme est né sociable et porté à former des groupes et des réunions : c’est le principe de la seconde classe. Jusque-là, rien de bien nouveau, rien qui n’ait été dit par tous les observateurs du cœur humain, par tous les moralistes ou psychologues. Mais voici