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est de nous donner un code, le devoir de l’homme est de le chercher. »

Il y avait deux solutions possibles du problème du mal : la malfaisance de Dieu, ou la malfaisance de la civilisation. Il fallait supposer d’abord la première pour être conduit à la seconde, et c’est en quoi l’impiété raisonnée valait mieux que l’athéisme ou le théisme. En effet, l’impie dit d’abord : « Dieu, s’il l’eût voulu, aurait pu nous rendre heureux. » Un autre dit : « Qui sait s’il ne se repentira pas de son erreur et de son injustice, et s’il ne cherchera pas un plan pour nous rendre heureux? » Un troisième dira enfin : « Ce plan existe, il faut le trouver. »

Comment le découvrir? Fourier part d’un principe qu’il appelle « l’économie de ressorts, » et qui n’est autre, sous une autre forme, que le principe de Malebranche, « de la simplicité des voies de la Providence, » ou celui de Maupertuis, « de la moindre action. » Dieu étant, suivant Fourier, le plus parfait des mécaniciens, comme le prouve le système du monde découvert par Newton, il doit avoir appliqué le même ressort à toutes les créatures. Quel est ce ressort qui gouverne le ciel ? C’est l’attraction universelle. S’il y a unité de système dans tout l’univers, le même ressort doit régir la nature humaine. L’attraction, voilà le ressort cherché; mais quelle attraction? Les astres n’ont besoin que d’être guidés dans leurs mouvemens, puisqu’ils n’ont ni sensibilité ni intelligence ; l’attraction y sera donc exclusivement mécanique. Mais les hommes sont des êtres sensibles, entraînés à l’action par les passions; l’attraction doit donc être passionnelle, les passions doivent y être soumises à une loi telle que, tout en la suivant, les hommes arrivent au plus grand accord, à la plus grande harmonie avec eux-mêmes et avec leurs semblables; et comme l’harmonie du monde est produite par deux forces, l’attraction et la répulsion, de même l’harmonie passionnelle comme l’harmonie musicale doit être à la fois obtenue par le mélange des accords et des discords.

Niera-t-on la possibilité d’un pareil système? Ce serait dire que Dieu, qui a pu donner un code mécanique, n’a pu donner un code social[1]. C’est ce qui est d’ailleurs réfuté par les faits; car Dieu a donné un tel code aux animaux, lesquels n’obéissent qu’aux lois de l’attraction passionnelle. Mais il y a cette différence entre l’animal et l’homme que l’un, réduit à l’instinct, n’a rien à faire autre chose que suivre ce code sans être chargé de le découvrir; l’homme au contraire a reçu la raison, en sus de l’instinct, précisément pour découvrir ce code. S’il n’a pas encore été découvert, ce n’est pas la

  1. Cette expression de code, si souvent reproduite par Fourier, paraît empruntée au Code de la nature de Morelly, dans lequel on retrouve d’ailleurs, avec bien moins de talent, des idées analogues à celles de Fourier sur le rôle des passions.