Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/636

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il semble qu’il n’y ait que trois solutions possibles du problème du mal : l’athéisme, le manichéisme, le théisme. Pour l’athée, la nature est aveugle, par conséquent indifférente : elle produit à la fois le bien et le mal, le mal et le bien. Ce système peut prendre deux formes : ou bien en vertu des lois du hasard et du mouvement, ces deux termes se compensent et s’égalisent : c’est l’indifférentisme; ou bien au contraire, dans cette lutte, le mal, ayant beaucoup plus de chances que le bien, l’emporte nécessairement, et c’est le pessimisme. Pour le manichéisme, qui dérive de la doctrine de Zoroastre, on sait qu’il y a deux principes : le principe du mal et le principe du bien. La création est le théâtre de leur lutte : pour les uns, cette lutte n’est que provisoire et se terminera par le triomphe du bien; pour les autres, elle est éternelle : la première de ces deux formes rentre dans le théisme, la seconde est à proprement parler le dualisme. Pour le théisme enfin, le bien seul est réel ; seul il est l’effet direct de la volonté de Dieu; le mal n’est qu’une limitation liée à la condition de la créature. Ce système à son tour se divise en deux formes : la doctrine de l’expiation ou de la chute, et celle de l’épreuve et du progrès; la première de ces deux formes est un pessimisme relatif, la seconde est l’optimisme.

Il semble que ces hypothèses épuisent tout ce que l’on a pu penser et écrire sur le problème du mal; cependant Fourier a imaginé une conception qui n’est aucune de celles que nous venons de dire, quoiqu’elle se rattache cependant au troisième système, c’est-à-dire au système théiste; mais dans le sein du théisme il est original, si toutefois la bizarrerie et l’excentricité des idées peuvent s’appeler du nom d’originalité.

Fourier est l’adversaire de l’athéisme; c’est, suivant lui, une opinion bâtarde qui ne signifie rien. En présence de l’ordre du monde, nous ne pouvons nier l’existence de Dieu; mais aussi, en présence du mal qui règne dans le monde, il faut convenir que l’athée est excusable. Le vrai ennemi de Dieu, le vrai ennemi de la raison, au contraire, est le théiste ou le superstitieux : car, en disant qu’il faut se résigner au mal, en cherchant à l’amoindrir et à le couvrir dans le monde par toutes sortes de subterfuges, il empêche d’en chercher le remède. Il conduit les hommes à une lâche servitude, au lieu de leur inspirer le désir de la délivrance.

Entre les deux thèses extrêmes de l’athéisme et du théisme servile (Fourier ne parle pas du manichéisme, disparu depuis longtemps), il y a une voie moyenne : c’est l’impiété, non pas une impiété aveugle, mais « une impiété raisonnée. « Il faut commencer, non par renier Dieu, mais par le maudire; et cela, non pour s’arrêter là, comme l’impie vulgaire, mais au contraire pour revenir à une idée plus juste de la Providence et de Dieu. Le mal nous ramènera