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subir, à s’y plier, et par cette docilité soumise où grandira son talent, il va retrouver sa liberté et sa grandeur.

C’est de ce temps, en effet, que datent quelques-unes de ses œuvres les plus mesurées, de celles où il dit le plus complètement ce qu’il veut dire. Bientôt même, à force de travail et de sincérité, l’accord va se faire, les deux tendances que nous voyions aux prises et qui semblaient contradictoires se concilieront dans l’unité de ce merveilleux génie. Rembrandt ne cesse donc pas d’interroger la nature et, quel que soit le charme qu’ait pour lui le paysage, la figure humaine reste cependant le sujet le plus habituel de ses études. En continuant à se prendre pour modèle, il nous laissera ainsi, pour toutes les étapes de sa vie, des renseignemens irrécusables sur sa personne même et sur les modifications de son talent. Un portrait du musée de Cassel, daté de 1639, et dans lequel nous croyons qu’on a raison de retrouver ses traits, nous le montre en pied, dans un accoutrement d’une riche simplicité, coiffé d’un chapeau à larges bords, vêtu de noir avec des bouffettes de dentelle et une collerette blanche. Le deuil ne s’est pas encore abattu sur son foyer; c’est toujours un élégant cavalier, un peu trapu, mais à l’air vaillant et ouvert. La tête déjà forte, est élargie encore par son ample chevelure et se détache fièrement sur un fond d’architecture très coloré. Dans un autre portrait, du musée de Carlsruhe, Rembrandt a environ quarante ans[1]. Ses traits se sont accusés, les rides se montrent, et le travail comme le malheur ont laissé leurs plis sur son visage. Entre les sourcils, le froncement provoqué par la contraction répétée du regard s’est marqué plus profondément. Les yeux n’ont plus ni la fièvre de la passion, ni la fierté joyeuse que nous leur connaissions ; leur expression est triste, un peu inquiète. La moustache a disparu, les cheveux courts sont devenus plus rares, ils laissent le front à découvert, le beau et noble front du génie.

À ce temps encore, il conviendrait de reporter de nombreuses et admirables eaux-fortes d’après des personnages qui posaient devant lui. C’étaient des lettrés, des savans, des peintres, des pasteurs ou des rabbins qui formaient ses relations, puis le fidèle Coppenol et aussi des marchands de curiosités, chez lesquels trop souvent il allait vider sa bourse. Son cercle s’est élargi, et quand il consacre maintenant son burin à ces compositions bibliques qui toujours lui sont restées chères, il est en mesure d’y multiplier les contrastes, d’y opposer dans leurs physionomies caractéristiques la riche diversité

  1. Le portrait a donc été peint vers 1647. Vosmaer, d’ordinaire si exact, non-seulement émet des doutes sur l’authenticité de cette œuvre, doutes qui ne nous paraissent par fondés, mais il lui assigne pour date probable : 1633, hypothèse que ni l’âge apparent, ni la facture ne permettent de soutenir.