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de transformation physiologique, l’idée patriotique s’enlevant en vigueur perçait désormais le romantisme ondoyant et divers de la première heure. Chanteurs, public, étaient électrisés; Nourrit, en proie au vertige d’une inspiration toute nouvelle, brûlait les planches, et le baryton Dabadie, artiste d’ordinaire assez médiocre, grandissait lui-même à la hauteur de la situation. Deux mois plus tard, après avoir servi chez nous à cette propagande, la Muette allait en Belgique prendre une part non moins active aux journées de septembre, et c’est à dater de cette période que l’ouvrage d’Auber revêtit le caractère qu’il a toujours conservé depuis et qu’il épousa définitivement la Marseillaise. Ici, une objection se dresse, et j’entends les ennemis du commentaire s’écrier : « De sorte que, si la révolution de juillet ne fût point venue, toutes les belles choses qu’il vous plaît, après coup, de découvrir et d’admirer n’existeraient pas? « Il se peut qu’en effet elles fussent restées lettre morte, mais il me sera permis de répondre que, si deux ans avant la révolution de juillet Auber les y a mises, c’est que toutes ces belles choses-là étaient alors dans l’air, et que, si elles n’avaient pas été dans l’air, il ne les aurait probablement pas mises. — Le duo des deux hommes au second acte a des accens irrésistibles ; c’est convaincu, entraînant, à la fois populaire et noble, un souffle spontinien circule à travers cette phrase d’une ampleur superbe et magistrale. Car la Muette n’entend pas rompre ouvertement avec le passé, cet opéra de l’avenir se rattache à l’ancien jeu par maintes traditions bonnes à conserver et même par quelques autres, qu’il eût mieux valu omettre. Ainsi, le croirait-on, en dépit de l’esprit nouveau qui s’affirme partout dans la musique, les costumes et la mise en scène, vous retrouvez là ce fameux confident de la tragédie : Ominös, dirait un Allemand. Curieux spectacle en effet, de voir sur le seuil du premier des opéras de la pièce; même pour ces sortes d’œuvres secondaires il existe une grammaire, et le théâtre n’exclut pas tout usage du français; on peut être dramatique sans platitude ni barbarismes, ceux modernes apparaître le dernier des confidens classiques; c’est à supposer qu’il doit y avoir là une manière de symbole dicté à Scribe par le génie de l’histoire, jaloux de relier au passé le présent et l’avenir : «De Fenella sait-on quel est le sort? » demande dès l’exposition le jeune prince au personnage qui partout le suit et l’accompagne, et celui-ci lui répond comme Arcas, Théramène ou Corasmin pourraient le faire :

Seigneur, je l’ignore, et mon zèle
Pour découvrir sa trace a fait un vain effort.


Goûtons d’abord cette langue : un zèle qui fait un vain effort. C’est l’école : l’abstraction à la place du pronom personnel; le je, le moi est haïssable, plus haïssable en vers qu’en prose, car il nécessite chez celui qui l’emploie une certaine habileté de main, tandis qu’avec