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livré deviennent à cet instant de sa vie plus sérieuses et plus suivies. Ce sont d’abord de nombreux dessins que nous voyons au musée de Dresde, les uns, simples griffonnages, pris debout, à la hâte ; d’autres plus serrés et poussés à fond. Ce sont aussi des eaux-fortes qui semblent également faites en face de la nature, en attaquant le cuivre directement, tant l’exécution y est libre et décidée, précieuses indications où l’on saisit sur le vif ce travail d’un esprit qui, d’emblée et avec un merveilleux instinct, fait la part de ce qu’il doit prendre et laisser. Ces études sont d’une sincérité extrême ; elles montrent le même besoin d’intelligente exactitude dont nous voyons Rembrandt animé alors qu’il est aux prises avec la figure humaine. Au lieu d’affecter vis-à-vis de la nature des airs de domination, il sait que pour pénétrer ses secrets il faut la consulter avec conscience. Elle se révèle aux humbles, à ceux qui l’aiment. Il s’attache donc à reproduire les aspects les plus caractéristiques du grand et simple pays où il vit : un canal avec des banques, un chantier, un moulin, une chaumière entourée de son îlot de verdure, la perspective d’une ville, d’un village ; moins encore, un bout de haie, une barrière avec l’homme ou la bête qui passe. Mais ce qui le tente le plus, c’est la grande plaine qui s’étend jusqu’à l’infini, avec les lignes horizontales de ses terrains et de ses eaux qui se suivent de très près et finissent par se confondre. Tout fait saillie sur cet horizon rasé : la modeste silhouette des toits de chaume, les découpures de la végétation, tantôt libre et imposante, tantôt courbée impitoyablement et comme ployée sous cette ligne de destruction en deçà de laquelle le vent de la mer ne permet aucun écart. Ce n’est pas là un pays imaginaire : les contours, dessinés d’une main ferme ont une précision photographique, que la pointe du crayon ou du burin accuse d’un trait serré, nerveux, expressif à foi-ce de rigueur et de concision. Ajoutons que l’élégance et la vivacité de ce trait paraissent toutes modernes et que de notre temps les meilleurs maîtres de l’eau-forte et du croquis semblent s’en être inspirés.

Ce caractère de véracité, ces qualités d’exactitude, nous les trouvons dans un petit paysage du musée de Cassel où se lit, en caractères un peu suspects, la date de 1636, mais dont les sobres colorations sont très heureusement réparties. La donnée est des plus simples : sous le ciel clair d’un jour d’hiver, le peintre nous montre un canal bordé de maisons et couvert de glace sur lequel de petits patineurs indiqués en quelques coups de pinceau prennent leurs ébats. Peut-être trouverait-on à reprendre à la coloration un peu trop jaune des terrains éclairés par le soleil. Est-ce du sable, ou bien est-ce, comme nous le croyons, de la neige que le peintre a