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à propos une forme pour insister sur une autre qui lui paraît plus significative; à noyer des contours ou à leur donner, s’d en est besoin, un relief inusité. C’est encore le clair-obscur qui, en restreignant le champ des colorations vives et en les encadrant de tons sourds, lui permettra de renforcer l’éclat de celles-ci. Enfin cet emploi de la lumière dont bientôt il disposera en maître lui fera découvrir, dans le domaine de la composition surtout, des perspectives jusque-là ignorées. Que de ressources dans ce merveilleux instrument, capable à la fois de délicatesse et de force et qui pour rendre toutes les nuances de la pensée humaine fournit des combinaisons inépuisables! Les formes évoquées par le maître semblent se transformer sous nos yeux; on croit les voir émerger de l’obscurité, s’épanouir, animées par lui d’une vie resplendissante et, après avoir un instant brillé, se replonger bientôt après dans les ténèbres. Les objets les plus insignifians, baignés dans cette atmosphère, s’imprègnent de poésie et de mystère. A la fois réels et transfigurés, ils prennent le degré d’évidence ou d’effacement qu’a voulu leur donner le peintre, et, tout empruntés qu’ils sont à notre monde, ils nous parlent aussi de cet autre monde créé par l’imagination du grand artiste et dont il nous a apporté la révélation.

De nombreux dessins de cette époque, des lavis à l’encre de Chine et à la sépia, que nous trouvons également au cabinet de Dresde, nous paraissent avoir particulièrement en vue cette étude du clair-obscur qui, au moment où nous sommes, devenait la préoccupation dominante de Rembrandt. La petite famille réunie le soir autour du foyer, ou bien quelqu’un de ces taudis encombrés et obscurs qui abondent dans le quartier qu’il habitait, ou bien encore une grange, une étable rustique, suffisaient à lui fournir des sujets d’observation inépuisables. Dans ces intérieurs où règne un jour douteux, la lumière, pénétrant par quelque baie étroite, vient se concentrer ou se perdre, en posant çà et là sur son passage quelques accrocs plus vifs qui font deviner les objets bien plus qu’ils ne les montrent. Ces violens contrastes aussi bien que ces insensibles dégradations sont notés soigneusement par le peintre, et il apprend à construire par l’effet une composition, connue d’autres avant lui l’avaient construite par les lignes et par les couleurs.

Même en ces années de bonheur, on le voit, Rembrandt ne se relâche pas de son travail. Quoi d’étonnant d’ailleurs si ses tentatives manquent parfois de mesure, si, lui qui montre une telle conscience en face de la nature, il s’abandonne, quand il n’est pas maintenu par elle, aux élans de passion qui sollicitent sa jeunesse! Il faut que cette exubérance se tempère peu à peu, que cette vie trop pleine et trop riche apprenne à se contenir. Comme ces métaux précieux qui n’abandonnent qu’au feu les scories auxquelles ils sont