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élégant, tout plein d’énergie ! Avec quel charme de naïveté certaines particularités physionomiques sont indiquées chez la femme, une imperceptible moue de la bouche, la courbure délicate du nez, le soigneux arrangement des cheveux, modestement tirés sous la coiffe ! Dans la Margaretha van Rilderdyk du musée de Francfort (n° 145), une Hollandaise rose et replète, mêmes qualités encore et même conscience, mais avec une facture plus généreuse, une pâte plus abondante et une couleur plus gaie, plus épanouie.

Autant qu’on en peut juger d’après le monogramme qu’il employait alors et surtout d’après la facture, c’est vers la même date (1632) qu’il faut reporter le portrait de Coppenol (musée de Cassel, n° 358), le calligraphe dont Rembrandt nous montre l’étrange visage : une tête falote, d’un ovale irréprochable, de petits yeux ronds, une bouche minuscule. Le front plissé, l’air sérieux, tout attentif à la grave opération à laquelle il se livre, Coppenol est en train de tailler sa plume qu’il tient délicatement dans sa main petite, ramassée et adroite. Ce n’est pas une mince affaire, car, en Hollande et dans ce temps, les calligraphes étaient renommés à l’égal des écrivains et célébrés par les poètes. Celui-ci d’ailleurs resta jusqu’au bout l’ami de Rembrandt, qui plus d’une fois l’a représenté. L’exécution ici est devenue plus large et l’ombre qui enveloppe une partie du visage, quoique vigoureuse, conserve toute sa transparence. Nous sommes au temps de la Leçon d’anatomie, œuvre inégale, peu équilibrée, la plus importante que le peintre eût encore tentée, mais où, malgré des préoccupations évidentes de force et d’unité, il serait facile de relever des timidités et des incohérences. Si quelques-unes des têtes sont remarquables, celle du professeur Tulp, par exemple, avec son air grave et digne, d’autres sont loin d’avoir la fermeté des portraits individuels que peignait alors le jeune maître.

Les relations de Rembrandt, nous le voyons, se sont étendues : il est déjà bien en vue puisqu’on le charge d’un pareil ouvrage, et dans la compagnie des médecins, des anatomistes, il va encore trouver plus d’un enseignement pour son art. Il fréquente aussi des poètes, et c’est également au musée de Cassel[1] que nous rencontrons le beau portrait de l’un d’eux, de ce Jean Krul qui, M. Vosmaer nous l’apprend, avait été forgeron. On ne le croirait guère, et cette main fine et blanche, avec ses doigts grêles, ses veines bleuâtres qui apparaissent sous la peau un peu flétrie, c’est la main d’un écrivain et non plus celle d’un artisan. La pose est naturelle et la silhouette

  1. M. Vosmaer donne la date de 1634 pour ce portrait (musée de Cassel, n° 351); nous croyons, avec le catalogue, qu’il convient de lire 1633. Les premières lettres de la signature et les premiers chiffres de la date sont cachés par la bordure du cadre, mais on voit assez nettement les deux terminaisons : …brandt, et au-dessous, . 33.