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est une répétition également modifiée d’un sujet déjà traité par le peintre en 1608[1]. Mais cette fois les influences flamandes ou italiennes sont moins sensibles; nous sommes en présence d’un tableau bien hollandais, et l’entente de l’effet, l’empâtement des terrains frappés par le soleil, le relief donné aux ornemens, la manière assez étrange de comprendre l’Orient et la Bible, une certaine naïveté des expressions aussi bien que l’introduction de détails très familiers mêlés à la composition, nous permettent de reconnaître bien des points communs avec Rembrandt. Enfin, dans un petit tableau daté 1629, la Nuit de Noël du musée de Harlem, la disposition même de la scène, l’attitude et le geste de saint Joseph, et surtout le rôle attribué à la lumière montrent ces analogies d’une manière bien plus frappante encore; Lastman ici apparaît vraiment comme un précurseur. Cette façon nouvelle de comprendre l’effet devait-elle rester chez lui à l’état de tentative isolée, ou plutôt n’était-ce pas le résultat d’une expérience acquise et dont on retrouve de plus en plus la trace dans ses dernières productions ? C’est à cette seconde hypothèse que nous nous arrêterions volontiers en la voyant confirmée par un autre tableau qui passe pour être de cette même époque, le Manné du musée de Rotterdam. Toute réelle qu’elle puisse être, il ne faudrait pas encore trop faire honneur à Lastman de cette intervention du clair-obscur, qui, chez lui, ne se présente guère qu’avec des oppositions rudes et tranchées, sans la finesse des dégradations et des transparences qui lui donneraient son prix. Les œuvres de Lastman restent donc malgré tout assez insignifiantes ; elles n’attireraient pas l’attention s’il n’avait bénéficié de la gloire de son illustre élève. Est-ce seulement dans les six mois de leçons qu’il lui aurait données que l’influence de Lastman se serait exercée sur lui ? Nous sommes porté à croire que, si Rembrandt n’a pas plus longtemps fréquenté son atelier, il a du moins continué d’entretenir avec lui des relations. A défaut d’autre mérite, la fécondité de Lastman devait l’attirer; comme preuve de l’estime où il le tenait, nous voyons figurer dans son inventaire deux livres remplis de dessins de son maître, et il ne serait pas difficile de relever dans ses œuvres les emprunts que plus d’une fois il lui a faits.


II.

En nous occupant de Lastman et en essayant de démêler, dans le demi-jour où ils étaient noyés, les traits de cette figure un peu

  1. Musée de Berlin, n° 677. Le tableau de Manheim n’est pas daté, mais nous le croyons postérieur à celui de Berlin.