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donc pas à changer de méthode pour les reproduire et pouvaient devenir romains presque sans sortir de leurs habitudes. Ils ne l’ont pourtant fait que très rarement. Parmi toutes les peintures de Pompéi, il n’y a que cinq tableaux qui semblent inspirés par l’épopée de Virgile ; encore l’un d’eux est-il une caricature. Il représente un jeune singe à longue queue couvert d’une cotte de mailles, embarrassé d’une épée, qui porte un vieux singe sur son épaule et traîne un petit singe par la main : c’est Énée sortant de Troie avec son père et son enfant. Dans les autres, un seul a quelque importance ; c’est une imitation très fidèle d’une scène du XIIIe livre de l’Énéide. Énée, atteint d’une flèche dans le combat, s’appuyant d’une main sur sa javeline, de l’autre sur l’épaule de son fils en pleurs, livre sa jambe au médecin, le vieil lapyx, qui essaie d’arracher le dard de la blessure. Au-dessus de lui, sa mère Vénus, descendant du ciel, apporte le dictame qui doit le guérir. Ce n’est pas une des bonnes peintures de Pompéi. L’attitude des personnages est embarrassée, l’ensemble manque d’aisance, et l’on voit que, le sujet n’étant pas familier à l’artiste, il ne l’a pas traité avec plaisir. Il semble qu’au moins l’aventure de Didon aurait dû tenter quelques peintres de talent. Macrobe nous dit en effet qu’on l’avait sans cesse reproduite dans les tableaux, les bas-reliefs, les tapisseries, et que les artistes paraissaient préférer ce sujet à tous les autres. Il ne s’agit pas assurément des artistes de Pompéi, car M. Helbig, en cherchant bien, n’a pu trouver que deux tableaux où il fût question de Didon, encore cette attribution est-elle fort incertaine[1]. Ce n’est guère, il faut l’avouer, surtout si l’on songe que l’histoire d’Ariane abandonnée par Thésée, qui ressemble tant à celle de Didon, a donné naissance à plus de trente ouvrai, es dont quelques-uns sont de grande dimension et d’un travail remarquable.

Cette absence à peu près complète de sujets tirés de l’histoire ou des légendes romaines, cette sorte d’affectation de les éviter, même quand ils avaient le mérite d’être embellis et comme préparés pour la peinture par le génie de Virgile, ne peut s’expliquer que par une seule supposition : il faut admettre que les peintres qu’imitaient les artistes pompéiens appartenaient à une école toute grecque, et que cette école florissait avant l’époque où l’influence de Rome a dominé le monde. Ce n’est encore qu’une indication assez vague ; pour aller plus loin, pour déterminer d’une façon plus précise le temps où ces peintres vivaient, il faut regarder de

  1. On vient d’en découvrir un autre qui est malheureusement effacé ; il n’en reste guère que les pieds des personnages et au-dessous leurs noms. On ne peut pas trop deviner quelle scène l’artiste avait voulu peindre ; ce n’est certainement pas celle de la caverne, car il y a des témoins.