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surtout consister la grandeur de la peinture. Puisqu’elle ne sait plus créer par elle-même et qu’elle ne vit que d’imitation, il leur semble qu’elle est morte. Voilà d’où vient leur sévérité.

Nous ne sommes plus dans la même situation qu’eux. Aujourd’hui que les modèles n’existent plus, ils ne peuvent pas nuire par la comparaison aux imitations qu’on en a faites. Nous ne descendons plus des originaux aux copies, ce qui est toujours très dangereux pour elles ; au contraire, ce sont les copies qui nous permettent de remonter aux originaux perdus et de nous figurer ce qu’ils pouvaient être. Ce service qu’elles nous rendent nous dispose d’abord très bien pour elles. Loin de nous plaindre que les artistes pompéiens ne soient pas des génies inventeurs, nous sommes tentés de leur savoir gré de n’avoir presque rien tiré d’eux-mêmes. En se contentant de reproduire les inventions des autres, ils nous reportent vers un des plus grands siècles de l’art antique, que nous ne connaîtrions pas sans eux. Seulement, pour ne pas nous égarer, pour tirer d’eux un profit certain, une première étude est nécessaire : nous devons essayer d’abord de retrouver la source à laquelle ils avaient puisé ; il faut arriver à savoir à quelle époque de l’histoire, à quelle période de l’art appartenaient ces peintres dont ils ont copié les tableaux.

Nous pouvons d’abord affirmer sans crainte que les artistes pompéiens n’appartenaient pas à une école qui de quelque manière pût s’appeler romaine. Ils travaillaient dans une ville d’Italie, pour des gens qui étaient fiers de se dire citoyens romains, à une époque où l’on était plus sensible que jamais à la gloire nationale, et cependant ils sont demeurés tout à fait étrangers à l’influence de Rome. Tandis qu’à leurs côtés la sculpture, grecque aussi d’origine, prenait plaisir à peupler les places publiques des images de la famille impériale, eux n’ont jamais songé à peindre les exploits d’Auguste ou de ses successeurs. L’histoire de Rome, cette glorieuse histoire qui faisait l’étonnement du monde, ne les a jamais inspirés. Dans leurs tableaux mythologiques, les sujets sont toujours empruntés à des traditions et à des légendes grecques. Il y avait pourtant à ce moment un grand poème romain, consacré par l’admiration publique, qu’on savait par cœur dans le monde entier, et à Pompéi autant qu’ailleurs, nous en avons la preuve : c’était l’Énéide de Virgile. Cet ouvrage, qui se rattache par tant de côtés à l’épopée homérique, n’était pas fait pour déplaire à des artistes grecs. Ils ne se trouvaient pas dépaysés dans un poème où la Grèce est partout présente et dont le héros est emprunté à l’Iliade. L’Énéide leur offrait à chaque pas des scènes tout à fait semblables à celles qu’ils étaient accoutumés à peindre. Ils n’avaient