Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/531

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maîtres illustres, ils n’étaient pas en peine d’achever rapidement la décoration d’une maison et pouvaient le faire à bon compte. Ils ne travaillaient donc pas de génie, ils peignaient de souvenir ; ce ne sont pas des inventeurs, mais des copistes.

C’est probablement la raison qui fait que les connaisseurs et les critiques du Ier siècle traitent si mal la peinture de leur temps. Nous avons à ce sujet l’opinion d’un homme d’esprit, d’un amateur éclairé des lettres et des arts, personnage curieux et plein de contrastes, fort léger dans ses mœurs, très grave dans ses jugemens, qui vivait comme les gens de son époque et affectait de penser comme ceux d’autrefois. Pétrone, dans son roman satirique, imagine que ses héros, de vrais coureurs d’aventures, se promènent un jour sous un portique orné, selon l’habitude, de peintures précieuses. Ils prennent grand plaisir à les regarder, ils veulent en savoir la date, ils cherchent à en comprendre le sujet, et se mettent .à en discuter ensemble. Le passé, comme c’est l’usage, les ramène vite au présent, et ils arrivent bientôt à s’entretenir de l’art contemporain. Ils en parlent fort sévèrement ; l’admiration qu’ils éprouvent pour les anciens artistes les rend très durs pour ceux de leur siècle Ils trouvent que les arts sont en pleine décadence, et que c’est l’amour de l’argent qui les a perdus. À ce propos viennent des plaintes que, depuis lors, nous avons entendu bien souvent répéter : Le passé, c’était l’âge d’or ; « les beaux-arts y brillaient de tout leur éclat, parce qu’on aimait alors la vertu toute nue… Est-il étonnant qu’ils soient maintenant délaissés quand on voit que les dieux et les hommes préfèrent de beaucoup un lingot d’or à toutes les statues et à tous les tableaux que ces pauvres Grecs, ces fous de Phidias et d’Apelle, se sont donné la peine de faire ? » La conclusion, c’est « que la peinture est morte et qu’il n’en reste Même plus de trace. » Cette opinion est à peu près celle de Pline l’Ancien, un juge moins prévenu, et en général plus équitable. Il affirme quelque part « que la peinture est en train de mourir, » et dans un autre endroit « qu’elle n’existe déjà plus. » Voilà des arrêts bien rigoureux. Ceux qui viennent de visiter Pompéi ont quelque peine à y souscrire. Quand ils se rappellent ces scènes si habilement composées, ces figures si élégantes, si gracieuses, qu’ils songent que ces tableaux ont été exécutés en si peu de temps, par des artistes inconnus, pour des villes de province, il leur est impossible de croire que l’art fut dans un état aussi désespéré que Pline et Pétrone le prétendent. Mais tout s’explique lorsqu’on se souvient que ces tableaux charmans ne sont après tout que des copies ; ils n’ont pas le mérite de l’invention, et c’est dans l’invention que Pétrone et Pline, qui se piquaient d’être des classiques, faisaient