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Quant aux autres, qui sont souvent de grandes œuvres et révèlent quelquefois un talent très distingué de composition, il est difficile de croire qu’ils aient été faits pour Herculanum et pour Pompéi. Ces petites villes ne méritaient guère qu’un peintre se mît en si grands frais d’invention pour elles. Ce qui prouve d’ailleurs que ces peintures ne leur étaient pas uniquement destinées, c’est qu’on les a retrouvées aussi dans d’autres pays ; on a découvert ailleurs, surtout à Rome, des restes d’habitations entièrement décorées comme celles des villes de la Campanie[1]. Les murs de es maisons contiennent quelques-uns des plus gracieux tableaux de genre qu’on admire au musée de Naples, et les mêmes sujets mythologiques traités de la même façon ; par exemple, l’Io gardée par Argus et délivrée par Mercure qu’on voit dans la maison de Livie, au palais des Césars, ressemble tout à fait aux six ou sept compositions :qui rappellent la même aventure à Pompéi. N’est-ce pas la preuve que ces artistes avaient préparé d’avance un certain nombre de tableaux, qu’ils s’étaient exercés à les peindre et qu’ils les reproduisaient partout où l’on avait besoin de leurs services ? Mais ces tableaux, pas plus à Rome qu’à Pompéi, ils n’en étaient réellement les créateurs ; ils n’en avaient imaginé ni le sujet, ni l’ordonnance. Ce qui permet de l’affirmer, c’est que dans les scènes de quelque importance, l’invention vaut toujours mieux que l’exécution. Elle témoigne d’une force de conception, d’une habileté à composer, d’un talent enfin, qui paraît supérieur à celui de l’artiste obscur qui est l’auteur de la fresque. Il est, je crois naturel d’en conclure que ce n’est pas le même qui a exécuté la peinture et imaginé le sujet, et que les artistes pompéiens, au lieu de prendre la peine d’inventer, se contentaient le plus souvent de reproduire des tableaux connus, en les appropriant aux lieux auxquels ils étaient destinés. Ainsi s’expliquent la rapidité de leur travail et leur inépuisable fécondités Comme ils avaient dans leur mémoire et pour ainsi dire au bout de leur pinceau une foule de sujets brillans qu’ils avaient pris à des

  1. Au mois d’avril dernier, en creusant au bord du Tibre pour agrandir le lit du fleuve, on a trouvé, devant les jardins de la Farnésine, les restes d’une charmante habitation romaine Elle se composait de longs corridors et de quelques chambres, dont l’une surtout avait été remarquablement décorée. Quand on la débarrassa de la boue humide qui la remplissait depuis peut-être dix-huit siècles, les couleurs avaient un éclat extraordinaire. On y remarquait, selon l’usage, des motifs d’architecture peints avec beaucoup d’élégance, des figures très hardiment dessinées, des colonnes reliées entre elles par des guirlandes et des arabesques, et, au milieu, des médaillons qui renferment des scènes de la vie ordinaire, des repas, des concerts, des sacrifices. Ce système de décoration est tout à fait semblable à celui des maisons pompéiennes, si ce n’est qu’il paraît plus soigné et traité par des artistes plus habiles. Ces belles peintures, menacées d’être de nouveau recouvertes par le Tibre, ont été enlevées avec précaution, et provisoirement déposées dans le cloitre de Sainte-Françoise Romaine, près du Forum.