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le concours est indispensable pour créer la loi et rendre obligatoire l’obéissance de tous. Ces trois pouvoirs sont la royauté, la chambre des lords et le corps électoral. La royauté est l’expression de l’unité nationale, la personnification de la nation elle-même vis-à-vis de l’étranger ; la chambre des lords représente l’église par le banc des évêques, la magistrature par le chancelier qui la préside et par les autres magistrats qui y ont obtenu des sièges, l’administration provinciale par les lords-lieutenans de comté ; elle représente en même temps la propriété foncière et tous les intérêts qui s’y rattachent, toutes les classes qui en vivent. Le corps électoral représente tous les autres intérêts, et comme il est trop nombreux pour participer directement et personnellement à la confection de la loi, ainsi que cela est possible aux lords, il exerce sa fonction par l’entremise de délégués qui composent la chambre des communes. Considérer cette dernière chambre comme la représentation de la nation est donc commettre une hérésie constitutionnelle ; la chambre des communes n’est pas un pouvoir par elle-même, elle est la réunion des délégués d’un seul des trois pouvoirs ; et la représentation de la nation pour être sincère et complète exige le concours simultané de tous les trois. Ces trois pouvoirs sont égaux, ils sont indépendans, et par conséquent ils sont irresponsables, l’irresponsabilité étant la condition de l’indépendance. Toutes les fois qu’on a tenté d’enlever à un des trois pouvoirs sa part légitime d’action ou d’établir la prépondérance de l’un d’eux sur les autres; toutes les fois qu’on a essayé, comme les whigs l’ont voulu sous les rois hanovriens, d’affaiblir l’initiative de la couronne ou d’énerver le contrôle des lords, on a détruit l’équilibre de la constitution et mis les libertés publiques en péril.

A côté de ce caractère représentatif, un trait non moins essentiel des institutions anglaises est la généralisation du principe de l’hérédité. La royauté est héréditaire, et c’est au respect de cette hérédité que l’Angleterre a dû d’être affranchie des révolutions du continent. La chambre des lords est héréditaire, bien qu’elle se retrempe sans cesse dans le sein de la nation par l’introduction d’élémens nouveaux, et c’est à l’hérédité qu’elle doit d’être un pouvoir effectif et vivant, à la différence de l’ancienne chambre des pairs français et de tous les sénats qui n’ont point d’existence propre. Le corps électoral lui-même n’est pas étranger à l’hérédité, car la plupart des électeurs tiennent de leur père leur droit à la franchise; et les services paternels ont toujours été pour le fils d’un député une recommandation sérieuse et un motif de préférence aux yeux des électeurs. C’est cette communauté de caractère entre tous les pouvoirs qui fait l’harmonie et assure le fonctionnement régulier de la constitution anglaise.