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la carrière au vaincu. Il ne paraissait pas probable, en effet, que de nouvelles élections eussent lieu avant plusieurs années. Tout autre, assuré de trouver dans des succès littéraires la consolation d’une défaite électorale, aurait abandonné la partie: M. Disraeli n’en fit rien, donnant ainsi une première preuve de la ténacité de son caractère. Il avait décidé qu’il entrerait à la chambre des communes : prenant d’avance son parti de tous les obstacles qu’il aurait à renverser, de tous les revers qu’il pourrait essuyer, il résolut de ne pas détacher les yeux, un seul jour, du but qu’il poursuivait et de rentrer dans la lice chaque fois qu’une occasion se présenterait. Ainsi, informé qu’une vacance allait se produire dans la représentation de Marylebone, il adressa aussitôt une circulaire aux électeurs pour leur annoncer sa candidature ; mais la démission dont il avait été question ne fut pas donnée. En attendant, on le voyait entretenir soigneusement des relations avec ses voisins du comté de Buckingham, quitter fréquemment Londres et ses travaux littéraires pour assister aux réunions des fermiers, y prendre la parole, faire partie des comités qu’ils nommaient pour la défense de leurs intérêts, rédiger les pétitions qu’ils adressaient au parlement, ne rien négliger, en un mot, pour ajouter à sa popularité naissante et pour acquérir une influence sérieuse.

Le ministère qui avait accompli la réforme n’avait pas tardé à se diviser, et ses dissensions intestines déterminèrent sa retraite au mois d’octobre 1834. Contre toute prévision, les tories revenaient au pouvoir, mais ils ne pouvaient espérer de gouverner avec une chambre élue sous l’influence de leurs adversaires, et une dissolution était inévitable. L’activité surprenante de M. Disraeli, l’instruction étendue dont il faisait preuve et le remarquable talent de parole qu’il avait déployé en toute occasion, ne pouvaient manquer, indépendamment de ses succès littéraires, d’appeler sur lui l’attention. Lord Durham, qui s’était séparé des wighs pour se mettre à la tête des radicaux, le faisait presser par sir Edward Lytton Bulwer de se joindre à eux. Lord Lyndhurst, dont l’esprit large et élevé ne s’inquiétait pas des ébullitions naturelles chez un jeune esprit, faisait grand cas des qualités éminentes de M. Disraeli, qu’il voyait souvent chez lady Blessington, et il aurait désiré que les tories s’attachassent cette brillante recrue. Il fit une démarche en ce sens auprès de M. Greville, qui était chargé d’organiser et de conduire les élections dans l’intérêt du parti; mais, malgré l’influence que lui donnaient ses hautes fonctions, il ne réussit pas. Les partis n’aiment point les gens qui se réservent et qui veulent penser par eux-mêmes; pour obtenir leurs sympathies et leur concours, il faut adopter surtout ce qu’il y a d’excessif dans leurs idées et épouser leurs passions. A la date du 6 décembre 1834, M. Greville raconte