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sur leur appui. La vérité est que M. Disraeli, par un excès de confiance dans ses propres forces, s’annonçait comme un candidat indépendant et libre de tout lien de parti. C’était ainsi que sa candidature était envisagée, et le journal tory du comté, the Bucks Herald, s’exprimait en ces termes au sujet de la lutte électorale engagée à Wycombe: « Nous ne sommes d’accord, au point de vue politique, avec aucun des deux candidats, mais nous n’hésitons pas à préférer la déclaration pleine d’indépendance et de franchise de M. Disraeli aux plates protestations du colonel Grey... De plus M. Disraeli n’est pas un whig... C’est un indépendant, sans engagement vis-à-vis d’aucun parti ; et comme il a du talent et de la volonté, il peut se faire une place honorable et distinguée à la chambre, ce à quoi le colonel ne peut prétendre. Nous pesons impartialement la valeur des deux hommes, et la balance penche très décidément du côté de M. Disraeli. »

Trois mois plus tard, les nouveaux électeurs qui se proposaient de donner leurs suffrages à M. Disraeli lui offraient un banquet à l’hôtel de ville de Wycombe, et le président s’exprimait ainsi sur son compte : « M. Disraeli est venu à nous sans l’aide d’aucune influence, sans l’appui de personne, ni dans cette salle, ni dans la ville, et il a conquis sa popularité actuelle uniquement par son talent et son mérite. En lui, ce n’est pas un zéro que nous enverrons au parlement, mais un homme qui fera honneur à Wycombe. »

S’il faut dire toute notre pensée, nous croyons que M. Disraeli avait, dès ce moment, des visées plus hautes que d’entrer au parlement à la remorque d’un parti quelconque. Il avait le sentiment de sa force; il ajoutait tous les jours à ses connaissances par un travail acharné; il avait été gâté par les éloges de tous ceux qui l’entouraient et par la précocité de ses succès ; il s’était fait, du premier coup, une place parmi les romanciers : lui serait-il plus difficile de se faire une place parmi les hommes politiques? L’application du bill de réforme devait désorganiser les partis, priver les tories de leurs principaux moyens d’action et affaiblir les whigs eux-mêmes : une foule d’hommes nouveaux allaient arriver à la chambre des communes sans engagemens et sans idées arrêtées : il s’en trouverait nécessairement un certain nombre disposés à se grouper autour d’un orateur, autour d’un chef qui, tout en rassurant les sentimens conservateurs de la nation, saurait faire la part du progrès. Il pouvait être, il serait cet orateur et ce chef. Il l’est devenu en effet, mais après une longue attente et au prix de persévérans efforts. Voyons si son langage devant les électeurs concorde avec l’ambition que nous lui supposons.

«Je suis un indépendant, dit-il à High Wycombe, en paraissant pour la première fois sur les hustings, et je ne porte la livrée d’aucun