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la Revue de Westminster, dont la courte existence n’a pas été sans éclat, et ils avaient fondé pour leur servir de centre de réunion un club qui s’appelait aussi Club de Westminster. On leur donnait et ils ne repoussaient point le nom de radicaux par lequel on les distinguait des whigs, c’est-dire des libéraux qui poursuivaient uniquement les réformes politiques. Il ne faudrait donc pas que ce nom fît illusion sur leurs sentimens, fort différens de ceux que professent les radicaux d’aujourd’hui, dont les uns sont républicains et dont les autres sont socialistes. M. Disraeli avait adopté sur les devoirs de la richesse envers la pauvreté, sur l’amélioration du sort des classes laborieuses, sur la réforme de la loi des pauvres, sur la diffusion de l’instruction et sur d’autres questions encore les opinions émises par Bentham et propagées par ses disciples. Il comptait en outre parmi les benthamites des amis très chers, entre autres sir Edward Lytton Bulwer, aujourd’hui vice-roi des Indes, qui n’épargna rien pour l’attirer dans leur camp et qui l’avait fait inscrire d’office parmi les membres du club de Westminster.

Ainsi M. Disraeli, au début de sa carrière politique, n’avait aucun lien ni aucun rapport d’opinions avec les whigs : par le fond de ses convictions politiques, il tenait aux tories; par les tendances libérales et généreuses de son esprit et par ses opinions sur certaines questions spéciales il tenait également à ce petit groupe de réformateurs qui n’allait pas tarder à se fondre dans l’un ou l’autre des deux grands partis. M. Disraeli fut donc logique et conséquent avec lui-même en se présentant tout d’abord comme un candidat libre de toute attache, comme un conservateur indépendant. On excusera l’abondance de ces détails si l’on réfléchit à l’action considérable que M. Disraeli a exercée sur son pays : ils contiennent l’histoire de ses opinions et donnent l’explication de sa conduite.

A quelques milles de Bradenham-House, au cœur du comté de Buckingham, se trouvent la paroisse et la ville de High Wycombe. La ville, ou plus exactement les habitations groupées sur un espace de 50 hectares, formaient un bourg parlementaire, représenté à la chambre des communes par deux députés. La franchise, ou droit d’élection, était le privilège de la corporation, c’est à-dire du conseil municipal, et des propriétaires fonciers ayant le titre de bourgeois : en tout, moins de 40 personnes. High Wycombe avait pour représentans, en 1832, le plus grand propriétaire de la paroisse, l’héritier présomptif de lord Carington, M. Robert Smith et sir Thomas Baring, nommé par l’influence de M. Smith. Tous deux étaient whigs et comptaient parmi les amis dévoués du ministère. Quelques semaines après son retour d’Orient, M. Disraeli fut informé que sir Thomas Baring allait donner sa démission de député de High Wycombe pour se porter dans le Hampshire, où l’une