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amateurs. Il doit y avoir plus d’un type dans la manière d’administrer le théâtre de l’Opéra, et c’est en somme quelque chose de beaucoup, plus divers que ne se l’imaginent les gens qui ne sont jamais sortis de Paris. Voici tantôt quarante ans que nous vivons sous le même régime d’énormes ouvrages in-folio à ressorts archi-compliqués, où l’accessoire surabonde et dont la mise en scène laborieuse et somptueuse coûte de longs mois et des sommes folles, quatre ou cinq chefs-d’œuvre invariablement affichés à tour de rôle, et çà et là quelque maigre ballet pour les abonnés : c’est le système, ou si vous aimez mieux, la formule du docteur Véron, qui, depuis un demi-siècle environ, se continue et que tous les directeurs ont pratiquée, qu’ils se soient nommés ou se nomment Duponchel, Roqueplan, Léon Pillet, Crosnier, Royer, Perrin ou Halanzier. A Vienne et à Berlin, les choses se passent autrement; rien de ces impedimenta, de cet éternel solennel qui nous encombre; on n’y met ni tant de façons, ni tant d’argent. Les opéras nouveaux se montent en quelques semaines; des reprises, il n’y en a jamais, pour ainsi dire, tous les répertoires étant à l’ordre du jour, l’ancien comme le moderne, l’italien, le français, comme l’allemand, le classique comme le romantique et le néo-romantique; Gluck, Mozart, Beethoven, Rossini, Weber, Halévy, Meyerbeer, Hérold, Méhul, Auber, Bellini, Richard Wagner, Cherubini : c’est la foire aux idées, et tandis qu’à Paris nous piétinons surplace, deux ans d’une pareille école vous forment un homme à la musique. Et avec cela des ballets, de vrais ballets, où le drame et la chorégraphie s’entremêlent pour la satisfaction du grand public, et qui ne sont pas, comme chez nous, de simples intermèdes, n’ayant d’autre objet que celui de complaire à quelques abonnés ou d’occuper la muse errante des symphonistes sans emploi.

Je ne sais, mais je me figure que M. Vaucorbeil trouverait sa raison d’être à l’Opéra dans l’application d’un tel régime : à lui de montrer que c’est vraiment un avantage pour nous d’avoir un musicien à la tête de notre première scène lyrique; le public veut du changement, car s’il ne s’agissait que de retourner à l’ancien jeu, pourquoi tout ce remue-ménage ? « Faire de l’art, » c’est vite dit ; commençons par faire une troupe et soyons modeste assez surtout pour ne pas publier à son de trompe celle que nous avenus et qui ne saurait valoir qu’à titre provisoire; ne comptons pas sur les annonces de ce genre pour rassurer le public dont une période de transition trop prolongée irrite les nerfs. C’est déjà un tort d’avoir devancé l’heure de l’entrée en fonctions. Il fallait permettre à M. Halanzier d’achever son temps et n’arriver au combat qu’en novembre, mais alors bien accompagné de fraîches recrues et sans fausses manœuvres. Le public n’a point ces trésors d’indulgence qu’on lui suppose bénévolement. Quand vous nous dites : Ceci ou cela ne compte pas, attendez que ma gestion commence, nous vous répondons :