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exemple à l’extraordinaire indulgence que l’administration supérieure ne se lasse pas de témoigner à M. Carvalho? Voilà, certes, un directeur qui n’a qu’à se louer du gouvernement de la république. Laissons de côté ces réparations de la salle, qui n’en finissent pas, cette clôture arbitrairement prolongée au préjudice d’une foule d’intérêts respectables, petits employés dont les appointemens sont suspendus, commerçans des alentours que le mouvement de reflux d’un grand théâtre fait subsister, et qui chôment dès que le gaz s’éteint sur la place et que les portes ne s’ouvrent plus, — négligeons ce désastreux entr’acte contre lequel assez de clameurs s’élèvent de toutes parts, et ne nous occupons que de ce qui concerne en temps ordinaire l’économie de l’établissement. L’Opéra-Comique a comme les autres théâtres subventionnés son cahier des charges où, si je ne me trompe, se trouve un paragraphe portant que les traductions seront exclues du répertoire ou que du moins on ne les y admettra qu’avec une certaine réserve. Et ce théâtre spécialement national, ce théâtre doté, privilégié outre mesure au bénéfice de nos jeunes compositeurs, M. et Mme Carvalho sont en train de le reconstituer sur le modèle de l’ancien Théâtre-Lyrique; il a fermé ses portes avec la Flûte enchantée et compte bien, sitôt après les avoir rouvertes, monter les Noces de Figaro, et le ministre se tait, laisse faire, et s’il plaît demain à Mme Carvalho de chanter Zerline, on affichera Don Juan sans en demander la permission ; puis on reprendra le Freischütz et Oberon avec M. Talazac et ainsi de suite jusqu’à ce que l’anarchie et la désorganisation soient complètes.

Mais revenons à l’Opéra et rendons-nous bien compte de l’état des choses. Comme accroissement de ressources financières, on aura le droit d’augmenter le prix des abonnemens, rien au-delà, et les bénéfices éventuels résultant de ce droit, nous voyons déjà que, par un acte de premier mouvement, plus généreux peut-être que réfléchi, le nouveau directeur vient de les aliéner d’avance en faveur des petits appointemens. Faire de l’art et ne songer à soi qu’après avoir pourvu aux grands intérêts de la maison, cela part d’un esprit et d’un cœur excellens, reste à exécuter le programme, et c’est ici que nécessairement l’administrateur devra se montrer. On évitera, nous le savons, de pencher du côté où les autres ont versé, on donnera moins aux pompes décoratives et davantage à l’appareil musical. Il y a du bon dans ce système, tâchons cependant de ne pas perdre de vue que le spectacle est une des conditions organiques de notre Académie lyrique et que si, les cortèges, les triomphes et les fantasmagories coûtent fort cher, le public n’admettra jamais qu’on les supprime. Il faut être ce qu’on est et pouvoir l’être; l’Opéra, sans les magnificences de sa mise en scène, cesserait d’être l’Opéra. Et pourtant, comment sortir de gêne et résoudre le problème?