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situations comme il s’en présente toujours quand les hommes chargés de donner d’en haut l’impulsion auraient eux-mêmes besoin d’être à chaque instant renseignés sur ce qu’ils ignorent. De quel beau zèle voudriez-vous qu’un directeur fût animé et quelle autorité conservera-t-il dans son théâtre quand tout le monde se raconte autour de lui que le ministre a déjà in petto pourvu à son remplacement? Sans être un de ces phénomènes dont le souvenir se transmet, la troupe de M. Halanzier avait ses qualités. Ensemble, tenue, discipline, émulation des jeunes sous le regard des vieux diplômés du Conservatoire et de la tradition, vous trouviez là à certaines heures je ne sais quel bon ordinaire qui vous réjouissait le cœur, surtout au retour de ces saisons de Londres où toutes les étoiles du firmament européen s’emmêlent dans la contredanse, où le même opéra vous montre la Patti, Faure et Nicolini jouant et chantant en virtuoses voyageurs qui ne se sont pas seulement concertés un quart d’heure et qui se moquent du public. Cette troupe s’est aujourd’hui modifiée, et des mois s’écouleront avant qu’on ait reconstitué quelque chose d’équivalent à ce qui n’était déjà point la perfection. Les ministres qui savent ce qu’ils font sont les seuls que les responsabilités n’effraient pas, les autres nomment des commissions, commandent des rapports, et pour avoir des clartés sur une question s’adressent au principal intéressé. Un moment la régie fut mise en avant; de toutes les inventions c’était bien la plus malencontreuse: n’importe, en dépit des expériences pitoyables faites sous l’empire, en dépit des protestations de tout un monde d’artistes et d’esprits informés, cette billevesée eut les honneurs d’une interminable discussion. Tout ce bruit, toute cette aventure en vue de créer une sorte d’intendance des théâtres subventionnés par l’état, comme si ce qui se passe dans les petites capitales d’Allemagne où l’art dramatique n’a qu’une vie stagnante et coûte si peu aux gouvernemens pouvait jamais exister dans nos théâtres, où la concurrence la plus active et la plus âpre est forcément en jeu et dont les budgets se chiffrent par des centaines de mille francs.

Les projets de régie écartés, on se dit : Tuons le mandarin, nommons un nouveau directeur, rien de mieux. Seulement ce qui aurait dû être l’affaire de quelques jours devint la question d’Orient; plus de trois mois durant ce débat occupa la ville; on se demandait au lever : Avons-nous un directeur? Le ministre en avait un, mais il ne voulait pas qu’on le sût, c’était, comme dirait Pascal, sa pensée de derrière la tête. Et pendant que cette pensée couvait, la désorganisation se mettait partout. Rude besogne que celle qui va s’imposer à la nouvelle administration, car s’il est déjà assez malaisé de recoudre ce qui est bien coupé, quelle industrie ne faudra-t-il donc pas pour recoudre ce qui fut mal et très mal coupé! En ce sens là, le cadeau de M. Jules Ferry à M. Vaucorbeil paraît moins enviable. Les beaux jours de l’exposition sont passés, le fameux escalier