Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/446

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compte bien que le public aura perdu la mémoire de Un monsieur qui prend la mouche. Ce serait la mort des métiers que de croire un instant à la durée de leurs œuvres. Et c’est justement pourquoi les œuvres dites « de métier » ne comptent pas en littérature. Je rappelais le nom de Scribe: qui, mieux que lui, connut et sut à fond le métier? Que sont devenues tant de comédies, j’entends les meilleures, Bertrand et Raton, par exemple, ou la Camaraderie? Que sont devenus tant de vaudevilles, l’Amour platonique l’Hôtel des Bains, les Adieux au comptoir, la Maîtresse au logis, etc., dont je copie les titres au hasard, qu’on ne joue plus sur nos théâtres, qu’on ne lit plus qu’en Allemagne, je pense; et que resterait-il de Scribe, à vingt ans de distance seulement, si, com.me on le disait tout récemment ici même, les grands noms de la Muette et des Huguenots ne préservaient auprès de nous sa mémoire?

Scribe avait une excuse : un don lui manquait, il ne savait pas voir ; M. Labiche savait voir, il est de ceux dont on peut dire vraiment : « s’il eût voulu ! » Mais il n’a pas voulu. Que faudrait-il pour que le premier acte de la Cagnotte fût presque un chef-d’œuvre d’observation dans la caricature? Peut-être seulement qu’il ne fût pas suivi des quatre autres. Il est vrai qu’alors il n’aurait plus de raison d’être, et ce serait dommage. Que faudrait-il pour que le Voyage de M. Perrichon fût une comédie dans le vrai sens du mot? L’idée en est heureuse et quelques caractères n’en sont pas mal posés. Peut-être suffirait-il qu’elle fût exécutée dans un ton différent, que les moyens y fussent moins invraisemblables, et surtout que l’intention de faire rire ne s’y montrât pas à chaque instant, l’intention de faire rire sans s’inquiéter ni des caractères, cela va sans dire, ni même de la pièces ni de la qualité du rire. Vous souvenez-vous de l’invective de Rousseau, dans sa Lettre sur les spectacles, contre la comédie de Molière, et l’entendez-vous encore qui termine chacune de ses apostrophes par la phrase célèbre : « Mais il fallait faire rire le parterre! » Il a tort contre le Misanthrope, mais comme il a raison contre le vaudeville de tous les temps! Il faut faire rire le parterre, et il faut le faire rire à tout prix.

Non pas, à la vérité, que la plaisanterie de M. Labiche, en général, soit cette plaisanterie lourde et grossière de l’ancien vaudeville ou cette plaisanterie licencieuse du vaudeville et de l’opérette tout contemporains. Le plus souvent elle est gaie, spirituelle et, ce qui ne laisse pas d’avoir son prix, au fond, toujours honnête. C’est qu’elle n’est pas superposée pour ainsi dire au dialogue, comme après coup, c’est qu’elle sort assez fréquemment de la force de la situation, c’est qu’enfin elle repose quelquefois sur l’observation vraie. Il y a notamment d’heureuses paysanneries dans quelques pièces de M. Labiche et des originaux de province assez plaisamment croqués. C’est l’exception, et d’ordinaire l’observation de M. Labiche est toute parisienne ou, si je puis risquer le mot, car il faut bien un peu parler la langue du sujet que l’on traite.