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n’avait la tête un peu lourde, et si, le soir, en rentrant chez lui, il n’était surpris par une grosse averse qui le trempe jusqu’aux os. Un municipal lui apprend le lendemain, par un pli cacheté, que le secours qu’il a sollicité du ministère en faveur de son invention ne lui est pas accordé. Mais qu’importe! Le voilà bien tranquille maintenant jusqu’à la fin des 100,000 francs. Voilà certes un inventeur bien possédé par son idée fixe.

L’autre roman est l’histoire de deux sœurs, toutes deux employées dans un atelier de brocheuses, et dont la famille demeure quelque part vers le prolongement de la rue de Sèvres. L’une, l’aînée, a jeté depuis longtemps son bonnet par-dessus les moulins. C’est une fille qui ne sait que suivre son plaisir et n’est point capable de faire fortune, même dans le vice. Elle est née pour être exploitée par les hommes plus que pour les exploiter. C’est à l’hôpital qu’elle finira ; elle suit la grande route qui y mène. Sa jeune sœur, témoin depuis l’enfance de ses désordres, de ses brouilles, de ses raccommodemens méprisables, de ses désespoirs, y a pris l’horreur de la débauche; elle est sage par bon sens et par tranquillité de tempérament bien plutôt que par principes et par vertu. Elle rencontre un ouvrier paisible, de mœurs honnêtes, d’une intelligence médiocre, d’une force physique moyenne, qui gagne des journées passables; elle suppute tout cela, elle discute le pour et le contre d’un établissement avec lui. Un moment, ils sont tout près d’être amoureux l’un de l’autre ; mais l’étincelle ne jaillit pas : leur petit roman sentimental se dénoue languissamment comme il avait commencé. Le jeune homme trouve un parti plus avantageux, elle fait de son côté une rencontre plus profitable. Ils se disent adieu dans une dernière poignée de mains, tandis que la sœur aînée, après avoir un moment essayé de forcer sa nature en cherchant auprès d’un homme du monde et d’un artiste les bénéfices et les élégances du vice entretenu, se lasse des contraintes qu’il lui faut s’imposer dans une vie sociale plus relevée, revient aux amans de sa classe et retourne avec joie au ruisseau qui, bien décidément, est sa vraie pairie.

J’ai raconté sans commentaires. Et maintenant il me semble que le problème dont nous poursuivons l’examen est fort avancé et approche de la solution. Nous pouvons voir ce que c’est que le naturalisme; c’est-à-dire quels sont, dans l’infinie variété des « documens humains, » ceux qu’il recherche et de quelle façon il s’applique à les mettre en œuvre. Il n’est point exact, ainsi qu’il le prétend, qu’il ait le premier essayé de se mettre en face de l’humanité réelle et vivante; mais ce qui est exact, et il convient de lui accorder cette originalité, c’est qu’il a sa psychologie et son observation particulières, qu’il voit la vie contemporaine et s’efforce de la représenter à sa manière, avec un parti pris, brutal si l’on veut, mais décidé.

Deux traits caractérisent proprement la littérature naturaliste. D’un