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les documens de l’histoire. M. Zola n’était pas encore au temps où Mme de Staël écrivait : « La littérature est l’expression de la société. » Avant Mme de Staël, La Bruyère avait commencé son livre des Caractères par cette phrase charmante en sa douce malice : « Je rends à mon siècle ce qu’il m’a prêté. » Les Grecs et les Latins, avant La Bruyère, avaient plus d’une fois dit à peu près la même chose. Homère, Sophocle, Platon, Térence et Virgile, avant Shakspeare, Racine et Molière, passent aux yeux de beaucoup pour avoir su faire un emploi assez intelligent du « document humain. » Depuis de longs siècles, les générations passent devant leurs ouvrages et se figurent y retrouver leurs sentimens et leurs passions ! Il n’est pas jusqu’aux productions les plus illustres de l’école romantique, des drames de M. Hugo aux romans de George Sand, où l’humanité moderne ne croie retrouver à un degré plus ou moins éminent les mêmes mérites, et c’est de cela justement qu’elle les admire.

Si donc M. Zola a voulu simplement dire que l’artiste devait ouvrir les yeux, regarder autour de lui et s’efforcer de peindre l’humanité telle qu’elle est, il n’a fait que répéter le conseil que formulent tous les critiques depuis qu’il y a des critiques, et qu’ont pratiqué instinctivement tous les artistes depuis qu’il y a des artistes : voilà sa grande découverte réduite à une vérité de la Palisse, et il va rendre jaloux l’ombre de Joseph Prudhomme. Ce n’était pas la peine de forger un mot nouveau dans une langue déjà trop riche de mots pour redire ce que tout le monde entendait fort bien. S’il a voulu ajouter que l’humanité qu’il fallait observer et peindre était l’humanité contemporaine, vivante, et qu’il importait pour cela de s’affranchir aussi complètement que possible de toutes les conventions des écoles et de tous les pastiches du passé, d’être surtout et avant tout naïf et sincère : tout en approuvant fort ce programme, je ne vois pas bien encore où serait la grande innovation. Voilà cinquante ans passés qu’en France on ne recommande guère autre chose. L’art est fort libre au temps où nous vivons; l’écrivain fait ce qu’il veut sans avoir à se soucier des formules, ni même des traditions : s’il fut un âge où des conventions de rhétorique l’opprimaient, cet âge est loin, et c’est tout justement à la génération romantique de 1830, — M. Zola a tort de l’oublier, — que nous sommes surtout redevables de cette pleine liberté dont il profite avec beaucoup d’autres. M. Zola fait son 89 littéraire quand il n’y a plus de Bastille à prendre.

Loin d’être un précepte nouveau que de recommander l’étude du « document humain, » ce n’est même pas un précepte bien clair. Tant que l'on reste dans cette généralité vague, on n’a rien dit. Car enfin il est partout, le document humain, ondoyant et divers comme l’humanité elle-même. Tout le monde s’est servi du « document humain, » et chacun