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l’ont précédé. Il est venu, il a vu, il a vaincu : il promène un regard hautain sur le passé, un regard triomphant sur l’avenir. Les temps du naturalisme sont venus; une voix a été entendue annonçant que le règne des faux dieux était passé et que le grand Pan est mort.

Pourtant il est des morts qu’il faut qu’on tue encore, et M. Zola s’y emploie consciencieusement. Oncques ne vit-on iconoclaste plus intrépide. C’est merveille de le voir s’escrimer de sa lourde masse d’armes et briser les idoles que le peuple avait naguère la folie d’adorer. Sans doute il n’a point empêché la foule de courir à la reprise de Ruy Blas, mais du moins il a dit vertement leur fait à M. Victor Hugo et au romantisme; si l’on ne voit pas après cela que les pieds du colosse sont d’argile, l’apôtre a accompli son devoir et sa conscience n’a rien à lui reprocher. En même temps que d’une main M. Zola détruit, de l’autre il édifie. S’il est l’ange terrible qui chasse de l’Éden ceux dont la présence le souillait, il est aussi le bon saint Pierre qui ouvre la porte du paradis à ceux qui sont dignes d’y pénétrer. Hors du naturalisme point de salut, ni pour les écrivains ni même pour les gouvernemens. Mais avec le naturalisme tout change. Recevez le baptême et vous serez sauvés. Ce n’est pas sans doute qu’il n’y ait des degrés parmi les élus. J’imagine que là même le talent personnel gardera quelques droits. Il y aura les petits saints et les grands. Tout le monde ne pourra pas prétendre à une place d’honneur : on distinguera jusqu’en cet olympe nouveau les grands dieux et les demi-dieux; mais en tout cas, au noble banquet, ceux-là seuls seront admis à s’abreuver du nectar qui auront communié d’abord ici-bas dans la formule sacro-sainte de l’art nouveau.

Je ne voudrais pas plaisanter plus qu’il ne convient. C’est le métier de la critique de prendre au sérieux tout ce qui autour d’elle est pris sérieusement. Or tel est incontestablement le cas du naturalisme. D’abord il se prend lui-même effroyablement au sérieux; il n’admet pas le moindre mot pour rire, et c’est pour de bon qu’il pontifie. Ensuite il a trouvé force gens qui l’ont pris comme il se donnait; si le temps était encore au martyre, il se pourrait qu’il trouvât des martyrs. Parlons donc raison et raison seule; voyons clair, s’il se peut.

Et d’abord qu’est-ce que le naturalisme et qu’ordonne cet évangile récent? A vrai dire, c’est ce qu’il n’est pas toujours bien aisé de découvrir. Ce n’est pas que le messie nouveau ait épargné ses « sermons sur la montagne. » Tout au contraire; il est né sermonnaire et, depuis quelque temps surtout, il ne perd aucune occasion de prêcher. Si le clou n’entre pas, ce ne sera pas du moins la faute du marteau. Études littéraires, volumes de critique, journal, supplément de journal, brochure, tout sert également à M. Zola, tour à tour ou à la fois. Il se redit sans se fatiguer et nous croit tous infatigables. Une douzaine de fois