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la rive gauche, le plan de Mantoue marque les deux statues des apôtres Pierre et Paul, qui subsistent encore aujourd’hui à la même place. Cela seul est une date, et nous indique une des retouches que cette carte a subies. En effet, ces deux statues ont été posées en 1534 ; il y avait eu là, jusqu’en 1527, deux édicules, restes d’une ancienne fortification. La présence du pont Sixte est également une date, car il ne fut commencé qu’en 1473 et achevé qu’en 1475. — Il est à remarquer que, sur l’une et l’autre carte, le fleuve est, dans sa partie inférieure, couvert d’embarcations et de bateaux à voile. On aperçoit même des constructions s’avancer de la rive gauche. C’est qu’il s’agit du lieu qui fut toujours le principal port de Rome, et qu’on appelle aujourd’hui Ripa grande ou Marmorata. Là débarquaient les nombreuses denrées que réclamait l’approvisionnement de la ville dans ses temps prospères, et les marbres pour ses immenses constructions. Du port d’Ostie, puis, — après que ce port se fut ensablé et se vit relégué loin de la mer, — de celui de Claude, et enfin de celui de Trajan, creusés tous deux de l’autre côté du delta sur la rive droite, les bateaux chargés étaient remorqués jusqu’ici. Le port était situé précisément au lieu où le baron Visconti a retrouvé les quais antiques et les anneaux creusés dans la pierre. Tout auprès, sur la rive gauche, s’était élevé pendant la première moitié de l’empire ce mont Testaccio, soigneusement marqué sur nos cartes, et composé, ainsi que tout le sol qui l’entoure, de fragmens d’amphores munis de marques inscrites, soit qu’on ait brisé là en immenses quantités les vases contenant les liquides ou les grains apportés par le commerce, — ce qui ne s’expliquerait guère, — soit plutôt que de grandes fabriques de ces sortes de vases aient eu leur siège pendant des siècles dans ce qu’on appelle aujourd’hui les Orti Torlonia, et que les rebuts aient peu à peu, comme il arrive à l’issue des ardoisières ou des houillères, formé un vaste monticule. Les nombreuses embarcations qu’on voit, sur les plans du XVe siècle, sillonner le Tibre, veulent-elles dire que la navigation n’avait pas perdu ou bien avait repris alors quelque activité ? Il est très probable que le cours du fleuve n’était pas obstrué comme il l’est aujourd’hui. En tout cas, cette image fait un singulier contraste avec l’absence complète de toute navigation dans l’intérieur de la ville actuelle. De nos jours, quelques bateaux à vapeur faisant le service entre Rome et Fiumicino, quelques remorqueurs pour les bateaux qui apportent la pouzzolane, arrivent seuls à Ripa grande. En amont, sauf le bac silencieux de Ripetta, qu’un pont nouveau, ennemi du pittoresque, va faire bientôt disparaître, pas une barque ne sillonne ces eaux : le désert s’est fait sur le Tibre comme dans la campagne romaine.

Examiner ces cartes de Rome au XVe siècle dans tout le détail