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effet du propre esprit de ce temps, qui invoquait l’air et la lumière ; il voulait refondre, pour ainsi parler, la ville de Rome ; il voulait en aligner et en élargir les rues, dégager les abords des places publiques, relier ces places entre elles au moyen de portiques sous lesquels on circulerait à l’abri du soleil et de la pluie, couvrir les ponts de galeries ouvertes, rebâtir les murs extérieurs, restaurer les quarante églises-stations, faire du Borgo, voisin de Saint-Pierre, une cité à part, reconstruire enfin le palais du Vatican et la basilique. La réédification de la ville avait commencé aussitôt après le retour des papes ; mais certains des quartiers nouveaux ne devaient prendre forme que sous Nicolas V. Par exemple le campo di Fiore, ouvert près du palais Farnèse actuel sur les ruines du Théâtre de Marcellus, était encore, vers la fin de ce pontificat, un lieu abandonné au bétail, quand le cardinal camerlingue, qui habitait tout auprès, à San-Lorenzo in Damaso (le palais de la Chancellerie), fit paver cette plage du Tibre. Les habitations s’y multiplièrent promptement ; une des plus anciennes hôtelleries de Rome, l’Albergo del Sole, où descendaient à la fin du XVe siècle les plus nobles voyageurs, y subsiste encore de nos jours. De la même époque datent le palais Capranica, un des plus curieux spécimens de la fin de l’architecture gothique à Rome, l’église Sant’Onofrio du Janicule, sur l’autre rive du Tibre, et bien d’autres édifices.

Il faut lire dans la Vie des deux Rossellini par Vasari quel était l’immense projet de Nicolas V sur le Borgo. Pour éviter les invasions et les surprises qui avaient continué de frapper ses prédécesseurs immédiats, profitant d’ailleurs de l’état d’abandon et de ruine où les désordres civils avaient mis cette partie de la cité, il avait résolu de construire entre le pont Saint-Ange et la limite extrême du Vatican une résidence fortifiée où le pape habiterait avec toute sa cour et une population d’artisans, d’employés, de scribes, de moines, de prêtres, qui devrait se suffire à elle-même. Il y aurait eu de vastes cours, des jardins, des portiques, des fontaines, des bibliothèques et même un théâtre, tout l’appareil nécessaire pour faire bonne figure, bien recevoir les ambassadeurs étrangers, et couronner dignement chez soi les empereurs d’Allemagne ; c’eût été une sorte de paradis à la manière des pays orientaux, et dans lequel, sans redouter le contre-coup des discordes extérieures, le pontife aurait donné au monde l’exemple d’une vie sainte et pure, d’une puissance majestueuse et respectée. — Ne reconnaît-on pas à de telles conceptions l’ardeur intempérante du XVe siècle ? C’est de tels plans imaginaires que sont remplis certains livres de ce temps, comme le Songe de Poliphile, le Traité de l’Architecture d’Antonio Filarete, encore inédit, etc. Cette effervescence des esprits, leur impatience