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avoir un grand profit pour l’antiquaire et l’historien à observer attentivement les attitudes et les costumes de tous ces divers personnages.

Ce n’est pas tout. Aux rinceaux élégans qui forment l’encadrement de toute l’œuvre sont mêlés de petits sujets qui témoignent de l’érudition toute classique de cette époque. La mythologie, les fables d’Ésope, les Métamorphoses d’Ovide, l’histoire romaine, en sont les principales sources. Léda, Ganymède, Io, les travaux d’Hercule, Romulus et Rémus avec la louve, l’enlèvement des Sabines, Clélie, Adam et Eve, tout cela, figuré avec un talent très inférieur assurément à celui de Ghiberti, atteste du moins une grande abondance de souvenirs et une imagination facile. On a conjecturé que ces entourages, offrant des représentations païennes pour la plupart, devaient être quelque débris antique, réuni après coup à l’œuvre de Filarete. Rien de moins vraisemblable : l’unité du travail paraît évidente. Bien plutôt retrouverait-on, si l’on savait expliquer toutes ces petites scènes, certaines curieuses influences de la littérature romanesque ou morale de ce moyen âge romain, que l’on commence seulement de nos jours à bien étudier.

Un dernier trait peu connu, tout spontané et naïf, fera pardonner à l’auteur de la porte de bronze son érudition un peu pédante. Entrez dans la basilique, et, par derrière la porte, au coin le plus obscur, tout en bas à droite, cherchez une petite bande de bronze avec un sujet en bas-relief, ce que Vasari appelle una storietta di bronzo. C’est la signature de l’artiste. Deux personnages, aux deux extrémités de cette sorte de frise, sont montés l’un sur un cheval ou un mulet, l’autre sur un dromadaire[1] ; rien n’indique s’il faut y voir Antonio et son collaborateur Simon Ghini. Entre eux se placent, reliés par une danse joyeuse, et les mains dans les mains, sept vigoureux compagnons : Antonio paraît être celui qui mène le chœur : il tient un compas; on lit au-dessous de ce personnage cette inscription : Antonius el discipuli mei. Une devise latine domine toute la scène : Ceteris opere pretium fastus summusve mihi, ce qui paraîtrait signifier : « L’argent pour les autres, l’honneur pour moi! » Si tel est le sens, voici comment nous interprétons la scène : content d’avoir terminé, Antonio chevauche et se promène avec les siens dans la campagne. Son langage est fier à l’égard des hommes, mais son humilité est profonde et sincère devant Dieu : il a pris pour lui la dernière place, à l’intérieur du

  1. Au-dessus de la première monture, il y a un mot mutilé que je ne puis lire : apo…ci ou capo...ci. Sous l’autre il y a le mot Dromendarius. Pourquoi l’inscrire ici? Cet animal était-il encore peu connu dans Rome, ou bien y a-t-il quelque allusion cachée ?