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Lorsque le pape Léon XII vint visiter dans son atelier les travaux pour le tombeau de son prédécesseur, Thorvaldsen venait justement de faire une de ses excursions favorites dans les régions les plus païennes, et le pontife, homme d’esprit, admira très volontiers les Ages de l’Amour, fantaisie tout alexandrine, que l’on croirait contemporaine de Callimaque.

La plupart de ces bas-reliefs, j’entends ceux dont la pensée est sérieuse, étaient destinés ou ont été employés à orner le socle d’une statue ou d’un buste. Fidèle à une tradition des anciens qui remonte à Phidias lui-même, Thorvaldsen regardait le bas-relief comme une légende indispensable de tout monument commémoratif ; il l’aurait exécuté à ses frais plutôt que de l’omettre, comme il fit pour le tombeau du cardinal Consalvi. Aussi a-t-il eu maintes fois l’occasion d’appliquer aux sujets les plus modernes la pureté de ses méthodes, et il a laissé sur ce point-là les plus féconds enseignemens. Telle statue modelée par ses élèves se rachète à nos yeux par les chefs-d’œuvre de son piédestal que le maître s’était réservés. Quant aux bas-reliefs inspirés par l’Évangile et exécutés presque tous pour des autels ou des fonts baptismaux, j’ai cité déjà les plus beaux d’entre eux, et j’ai dit à ce propos comment l’artiste, dans toutes ses œuvres religieuses, avait été amené, par le courant même de la pensée chrétienne, à prendre dans son dessin et dans sa touche je ne sais quoi de plus grave et de plus pénétrant, et, sans modifier sensiblement son style, à y mêler aux traditions grecques les souvenirs de la renaissance italienne.

Est-il besoin, pour terminer cette longue revue, de dire un mot des bustes rassemblés dans une salle du musée? Ils sont peu nombreux, eu égard à l’extrême fécondité et à la facilité de l’artiste, et c’est une nouvelle preuve qu’il ne cherchait guère un emploi lucratif de son talent; la plupart d’ailleurs reproduisent, comme on peut s’y attendre, de grands personnages allemands, anglais ou russes, des princes et des artistes danois. Ils sont visiblement conçus et exécutés comme les meilleurs bustes qui nous restent des anciens : recherche exacte et familière de la ressemblance et du caractère de l’individu, mais seulement par les grandes lignes et les traits dominans du visage ; les saillies sont très accentuées et les plans largement traités, avec un dédain absolu des détails inutiles, des mièvreries et des trompe-l’œil, ressources habituelles, en pareil cas, des ciseaux vulgaires, pour séduire la foule[1].

Peut-être le lecteur qui aura eu la patience de m’accompagner

  1. On ne peut pas ranger parmi les meilleurs bustes de Thorvaldsen celui de Napoléon qui était aux Tuileries dans la salle dite des États et qu’on a heureusement sauvé de l’incendie. C’est une œuvre solennelle et indécise, un travail, pour employer le jargon de l’atelier, fait de chic, l’artiste n’ayant jamais vu son modèle.