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maîtres italiens. Tous ces personnages sont largement dessinés; il y a dans leurs draperies un grand style et une recherche évidente de variété, de convenance et de noblesse. Là se reconnaît tout de suite la main du Danois; mais elle ne se montre pas autrement. A part quelques attitudes qui expriment assez bien le recueillement et la méditation, tous ces disciples du Christ ne sont guère caractérisés que par leurs attributs d’évangélistes ou les instrumens de leur martyre, une croix, une hache, un couteau, ou bien par quelque souvenir de leur légende, comme le manteau de pèlerin sur les épaules de saint Jacques le Majeur. Quelques têtes seulement, celle de saint Jean, par exemple, de saint Jude, de saint Jacques le Mineur, de saint Barthélémy, répondent au caractère, à la grandeur morale des personnages. Les autres, il en faut convenir, sont parfaitement vulgaires et dénuées d’inspiration. Ce qui n’est pas moins grave encore, c’est que la main incertaine des élèves se trahit dans tous ces marbres, à des degrés divers, par la lourdeur ou la faiblesse du modelé, l’insuffisance et la sécheresse du ciseau. Ces jeunes gens n’ont su ni transfigurer les rudes pêcheurs galiléens, ni donner la souplesse indispensable même à leurs épais manteaux. C’étaient pourtant des artistes de talent, et leur maître avait choisi les plus capables de son atelier; plusieurs d’entre eux se sont fait plus tard une renommée. Mais alors ils étaient encore inexpérimentés, ou trop habitués à reproduire les marbres païens de leur maître pour n’être pas un peu déroutés sur un terrain si différent. Ils n’ont pas eu la puissance de changer en une figure colossale et bien vivante la petite ébauche qui leur était confiée, tâche difficile assurément, beaucoup plus que celle de Jules Romain, de Penni et de Jean d’Udine peignant des fresques d’après les cartons de Raphaël. Voilà ce qu’il faut se rappeler pour revenir un peu de la désagréable surprise que donnent ces apôtres, qu’on pourrait appeler des Apôtres avant la Pentecôte. Personne n’hésitera d’ailleurs à les trouver cent fois plus beaux, plus conformes au sujet et plus dignes d’un temple chrétien que les bizarres colosses laissés par l’école du Bernin à Saint-Jean-de-Latran, qui semblent exécuter sur leurs piédestaux une pantomime, une danse sacrée comme celle du chœur antique autour de l’autel de Bacchus.

Que les compatriotes de Thorvaldsen ne lui reprochent pas cependant la façon un peu cavalière dont il a traité leur commande! Il aurait pu la refuser, au grand détriment de leur basilique, et qui oserait dire qu’il aurait dû perdre des années à modeler lui-même ces douze figures de deux mètres et demi de haut, sacrifiant à cet ennuyeux travail tous ses chefs-d’œuvre de ce temps-là? Certes, le sujet lui-même, l’idée à interpréter ne lui répugnait pas, ni ne l’effrayait, et il a montré de quelle façon un païen, un sceptique,