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de Pie VII. Cette petite scène, ces accessoires seraient évidemment mieux à leur place sur le tombeau d’un personnage de l’ordre civil. On peut surtout reprocher à l’artiste de n’avoir travaillé de son propre ciseau que la statue même de Pie VII ; les autres figures ont été abandonnées à ses élèves, et l’on s’en aperçoit aux défaillances, à la pauvreté de leur exécution. Certes, Thorvaldsen a mal compris sa gloire, en ne mettant pas toute sa sollicitude dans la perfection d’une œuvre destinée à tant de publicité. Tel qu’il est néanmoins, ce monument est encore l’une des meilleures parmi les nombreuses sépultures papales que renferme la basilique. Qu’on lui préfère le bijou florentin ciselé pour Innocent VIII, par Antoine Pollajuolo, ou le tombeau de Paul III, de Guillaume della Porta, mais non pas le mausolée de Clément XIII, si fort admiré des touristes. Les Lions de Canova, son gracieux Génie de la Mort et sa Religion, un peu massive et emphatique, forment peut-être un groupe saisissant, mais ce n’est pas certainement par l’inspiration chrétienne. Son Clément XIII, agenouillé dans la prière, est très pieux, très expressif ; il a moins de caractère pourtant et de grandeur que le pape bénissant de l’autre mausolée. Enfin, pour le style même des figures, pour l’architecture et l’ordonnance générale du monument, c’est encore le Danois qui l’emporte.

Thorvaldsen, par malheur, lorsqu’il reste au-dessous de son sujet, n’a pas toujours les mêmes excuses. J’ai parlé à dessein, en racontant sa vie, de cette déférence exagérée pour de puissans protecteurs, qui l’a conduit à gaspiller une bonne part de son temps et de ses forces dans des travaux pour ainsi dire officiels, devenus aujourd’hui la partie périssable de son héritage. On regrette qu’il n’ait pas eu le caractère indomptable et hautain de Michel-Ange; ces âmes-là, par malheur, sont rares en tout temps, et notre Scandinave, nature patiente et laborieuse, mais timide, ne savait pas résister au prestige du rang social, ni même à sa propre popularité. Qu’il acceptât, par point d’honneur et par reconnaissance, les offres et même les conditions du cardinal Consalvi, rien de mieux. Mais pourquoi ne pas refuser à la ville de Mayence la statue de Gutenberg, plutôt que de laisser faire par un de ses élèves une œuvre médiocre qui porte son nom? Pourquoi se laisser vaincre par l’amitié du roi de Bavière et céder aux instances de sa sœur, la duchesse de Leuchtenberg, qui lui demandait le tombeau de son mari et lui en dictait même l’idée et le dessin? On comprend fort bien que cette pâle figure d’Eugène de Beauharnais, non plus que le vague personnage de Gutenberg, ne lui inspirât pas grand’chose; mais alors il fallait répondre aux indiscrets que le génie ne doit pas être au service de toutes les vanités et de toutes les fantaisies. Dans ces occasions-là, Thorvaldsen résistait d’abord, puis, pour se