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d’ailleurs refaire le Clément XIII de Canova. Ainsi, sur tous les points de cette vaste composition, où il pensait trouver tant de ressources, l’imagination du sculpteur se heurta à quelque obstacle et replia ses ailes. Il n’eut même pas la liberté de créer à sa fantaisie l’ensemble du monument : on lui en imposa l’emplacement, la forme et les dimensions.

L’artiste cependant ne voulut pas s’avouer vaincu et mit sa gloire à lutter, au moins dans la figure du pape, contre les formules infranchissables où on l’enfermait. La statue de Pie VII est un des chefs-d’œuvre de Thorvaldsen, non-seulement par la majesté simple et la vérité de l’attitude, par l’élégance et la souplesse de ces lourds vêtemens pontificaux, mais par l’incomparable beauté de la tête, fouillée et étudiée avec un art surprenant. On ne peut pas porter plus loin l’expression, ni mieux traduire le caractère et l’âme même d’un personnage. Sur ce visage à la fois sévère, doux et triste de Chiaramonti on lit toute l’histoire de son martyre, sa patience et son inébranlable fermeté en face du plus violent despote qui fut jamais. Un jour, à Rome, il y a, je crois, dix-sept ans, j’entrais dans l’atelier du statuaire Étex, homme de grand talent, comme on sait, mais un peu trop enclin à se croire l’héritier direct des grands maîtres de la renaissance. Il exécutait alors, sous l’empire d’une récente conversion, un buste de Pie IX et cette curieuse statue de Saint Benoit sur les épines, qui est au musée du Luxembourg et qu’il appelait l’antithèse de l’Hermaphrodite. Je me hasardai à lui représenter que son buste de Pie IX, froid et guindé, rendait assez mal l’expression charmante et si individuelle, mélange singulier de douceur, de finesse et de majesté, que personne n’oubliait après avoir vu l’auguste pontife : « Ce n’est pas Pie IX que j’ai voulu faire, me répondit solennellement l’artiste, mais la papauté ! » Il était bien loin de compte; mais son mot me parut caractériser tout justement la statue de Pie VII de Thorvaldsen. Ce n’est pas simplement un pape, en effet : on dirait l’incarnation de la papauté, non pas certes de la papauté toute-puissante qui régnait au moyen âge, mais de cette papauté persécutée que le monde a connue bien des fois depuis les premiers siècles du christianisme jusqu’à celui-ci; et n’était-il pas touchant de voir cette noble image du pontife romain sculptée avec amour par le ciseau d’un protestant?

Il y a donc dans ce Tombeau de Pie VII de quoi fléchir la plus sévère critique. On peut trouver que l’architecture en est trop massive, bien qu’elle soit en harmonie de style avec les figures. On peut trouver les personnages allégoriques trop païens ou simplement trop humains pour le sujet; et non-seulement les Vertus, mais ces deux anges, d’ailleurs très élégans, qui accostent le trône pontifical, et dont l’un montre un sablier à l’autre qui ferme le livre de l’histoire