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point douteux. Lord Beaconsfield a-t-il l’intention de profiter de ses récens succès pour dissoudre le parlement, pour chercher dans des élections une victoire de plus ou une consécration nouvelle de sa politique? Laissera-t-il au contraire le présent parlement aller jusqu’au bout de son existence légale? Lord Beaconsfield n’a point jusqu’ici dit son secret, et il ne le dira vraisemblablement que lorsqu’il aura son plan de campagne tout prêt, lorsqu’il croira l’heure favorable arrivée. Avec lui il faut s’attendre à de l’imprévu, il aura son coup de théâtre électoral, et, tout bien compté, malgré les signes d’une opposition qui ne laisse pas de grandir, lord Beaconsfield a bien des chances d’obtenir de l’Angleterre la sanction de la politique par laquelle il a illustré son ministère.

Quant à la Belgique, cet autre état plus jeune et pourtant presque ancien déjà parmi les monarchies constitutionnelles de l’Europe, quant à la Belgique, elle a certainement aujourd’hui ses émotions assez vives. Elle a, elle aussi, comme d’autres pays et plus que d’autres pays, ses questions religieuses livrées à toute l’ardeur des partis. Elle a pour le moment ses agitations, qui ne datent pas d’hier sans doute, mais qui viennent d’être ravivées, qui sont portées à un certain degré d’incandescence par la loi récente que le ministère libéral a fait adopter pour modifier les conditions de l’instruction religieuse dans les écoles primaires. Le gouvernement belge, il faut le dire, n’a pas voulu aller jusqu’à supprimer l’enseignement religieux prescrit par une ancienne loi de 1842, qui est restée jusqu’ici en vigueur; il a voulu simplement lui rendre le caractère facultatif en laissant toute liberté aux parens et en retirant au clergé le droit exclusif d’inspection et de contrôle sur les écoles. Désormais l’administration communale doit fixer une heure et désigner un local dans les établissemens scolaires où les ecclésiastiques, délégués par les curés des paroisses, iront donner aux enfans l’instruction religieuse. La loi proposée par le ministère a été votée par le sénat comme par la chambre des députés; elle a été sanctionnée par le roi, elle se heurte aujourd’hui contre l’hostilité ardente du clergé qui, en Belgique, on le sait, est aussi libre que puissant, qui refuse de reconnaître la loi et menace même de mettre en interdit les instituteurs, les parens, les enfans qui se soumettraient à la mesure législative. C’est là le conflit qui s’agite aujourd’hui, c’est là la question violemment, passionnément engagée entre les partis, et naturellement les esprits extrêmes s’efforcent de pousser la lutte à outrance. C’est dans ces conditions que le roi Léopold est allé récemment à Tournay pour assister à l’inauguration d’une gare de chemin de fer. On redoutait un peu d’abord que, sur quelque mot d’ordre d’agitateurs imprudens, une partie de la population ne s’abstînt des manifestations qui accueillent toujours la royauté en Belgique. Il n’en a heureusement rien été, l’esprit national a été plus fort que tout le reste, et le roi, saisissant l’occasion de la célébration