Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ceux qui se mêlent de refaire le monde devraient y regarder de près et se dire que « de toutes les choses les plus sûres, la plus sûre est de douter. »

De las cosas mas seguras
La mas segura es dudar.


Si M. Hellenbach a du goût pour l’utopie, on aurait tort d’en conclure qu’il ait l’humeur optimiste ; il s’en faut. Il prédit à notre globule terraqué le plus fâcheux avenir. Par le refroidissement graduel du soleil, les zones habitables se réduiront de plus en plus ; nous aurons le sort de la planète Mars, dont les glaces polaires sont beaucoup plus envahissantes que les nôtres. Nous finirons même par devenir un astéroïde, une lune stérile, désolée, très peu logeable. Si l’avenir ne nous promet rien de bon, le présent n’est pas gai, la vie est un mal. L’ennemi des préjugés s’en excuse en alléguant qu’il ne faut pas s’en prendre à lui, que ce n’est pas lui qui a créé l’univers et que pour sa part il n’y est entré qu’à son corps défendant. Il regrette amèrement qu’on ne lui ait pas fait respirer du chloroforme dans son berceau ; il ne peut se réconcilier avec son existence que parce qu’il la regarde comme un anneau nécessaire dans la grande chaîne des causes et des effets. Il a le bonheur de croire à l’immortalité de l’âme ; mais il estime que la métaphysique ainsi que l’histoire naturelle ne nous guérit point de nos chagrins. Comme le remarque George Eliot dans son dernier livre, celui qui cherche dans l’étude de l’univers une raison de se consoler de ses malheurs particuliers ressemble à un homme qui lit un livre dans la seule pensée d’y trouver son nom quelque part. Hélas ! il n’est pas question de nous dans le grand livre de l’éternelle nature ; nous pouvons le lire d’un bout à l’autre sans y découvrir notre nom et notre éloge, soit dans le texte, soit dans la marge.

M. Hellenbach en infère que le suicide a du bon, et il n’y a rien à lui répondre ; mais il insinue que l’état devrait prêter son assistance aux gens qui veulent se pendre. « Tout homme qui se délivre de la vie facilite par sa mort l’existence des survivans, soit qu’il ait quelque fortune à leur laisser, soit qu’il les débarrasse d’une concurrence nuisible. En tout cas, il leur fait de la place et rend disponible la part d’alimens qui lui était nécessaire. Quand le nombre des suicides serait décuplé, il n’équivaudrait jamais à la dixième partie des décès causés par la guerre, la faim et la misère. Dépouiller la mort volontaire de ses terreurs est au pouvoir de la société ; si elle ne le fait pas, c’est un fruit du préjugé. » M. Hellenbach insinue également que, si les gouvernemens étaient bien inspirés, ils aideraient les malades désespérés à sortir de ce monde et les mères de famille à n’y pas faire entrer un enfant conçu sous une méchante étoile. « Dans l’état présent des choses, nous