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neuf ans. Se représente-t-on deux amans très épris, qui s’engageraient à s’adorer jusqu’à la Saint-Michel de l’an prochain ? Passé ce terme, ils ne répondent plus de rien. Qu’est-ce que l’amour sans l’illusion ? Un grand poète a dit il y a longtemps « que ce que l’homme voit, l’amour le lui rend invisible, et que l’invisible, il nous le fait voir. »

Quel che l’uom vede, Amor gli fa invisibile,
E l’invisibil fa veder l’Amore.

M. Hellenbach ne propose pas dès ce jour l’abolition du mariage ; il le juge provisoirement nécessaire dans l’intérêt des enfans. « Si l’embryon détaché du corps de sa mère était capable de pourvoir lui-même à sa subsistance comme l’embryon d’un poisson, rien ne serait plus légitime et plus innocent que de s’abandonner en liberté à toutes les joies de l’amour. Tout ce qui excite le désir dans l’homme, une belle taille, un beau sein, de belles dents, une opulente chevelure, promet au monde la naissance d’un organisme propre au combat de la vie. Mais il faut du temps pour que l’embryon humain se suffise à lui-même, et il en résulte que le désir doit s’imposer une douloureuse contrainte. » Heureusement l’état se chargera un jour de nourrir tous les enfans, et le mariage fera place à l’amour libre, qui transformera cette vallée de larmes en lieu de délices. Les gouvernemens sont pauvres, ils n’ont que des dettes, causées par des dépenses improductives. Le point est de leur assurer une fortune qui les mette en état non-seulement d’élever les enfans, mais de soulager toutes les misères. Rien n’est plus simple, sans qu’il soit besoin de recourir aux moyens brutaux et sommaires de la révolution sociale. Il faut que les gens qui n’ont pas d’enfans soient mis en demeure de nourrir les enfans des autres et qu’ils instituent l’humanité pour leur héritière.

Notre philosophe est impitoyable pour les collatéraux, pour ceux qu’on appelle en allemand les héritiers qui rient, die lachenden Erben. « En 1878, s’écrie-t-il, sont morts en Californie trois millionnaires, nommés O’Brien, Hopkins et Reese, qui laissaient chacun huit millions de dollars. Cette année-là, les héritiers qui rient se sont emparés de plus de quarante millions de dollars. Auraient-ils été bien malheureux s’ils n’en avaient touché que la moitié et si le reste avait servi à constituer une rente éternelle affectée à des institutions humanitaires ? » M. Hellenbach ne refuse pas absolument aux célibataires le droit de tester ; il ne réclame que la moitié ou le quart de leur héritage, dont les rentes seraient administrées par un ministre de la bienfaisance, qui n’aurait rien à démêler avec la politique ni avec les questions de cabinet ; ce n’est pas au parlement qu’il rendrait ses comptes, il serait soumis au contrôle d’une commission « composée des hommes les plus honorables