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Durant la période de navigation, de mai à septembre, ces lugubres caravanes d’été, composées de centaines de personnes de tout rang, de tout sexe et presque de tout âge, se succèdent à de courts intervalles, souvent tous les huit ou dix jours. Le nombre des condamnés des diverses catégories est fort considérable. C’est vers 1825, avant même le règne de Nicolas, que la déportation a commencé à prendre un grand essor, et depuis, le contingent annuel du bannissement a grossi d’année en année. Sous Nicolas, de 1830 à 1848 par exemple, le chiffre annuel des déportés montait en moyenne à huit mille environ, dont près de la moitié étaient des vagabonds ou des serfs en fuite. Vers 1830, le nombre total des exilés en Sibérie était de plus de quatre-vingt mille (83,000), en 1855 on l’estimait à près de cent mille âmes (99,860 dont 23,000 femmes), soit une véritable armée, disséminée il est vrai sur toute la surface de la Sibérie[1].

Dans l’été de 1878, malgré la diminution des cas où est appliquée la peine du bannissement, malgré l’emploi plus fréquent de la prison, le gouvernement a expédié de Moscou à Nijni Novgorod, durant la période de navigation, près de douze mille condamnés des deux sexes[2]. A Nijni ou à Kazan, ces douze mille condamnés ont été rejoints par les recrues du bas Volga au nombre de près de quatre mille, et avant de quitter Perm les provinces de la Kama leur avaient apporté un nouveau renfort de plusieurs centaines de prisonniers. Grâce aux arrestations et déportations politiques de l’année courante, le nombre des personnes, hommes ou femmes, contraintes de passer l’Oural dans l’été de 1879 doit être plus élevé de plusieurs milliers de têtes. En outre, au chiffre de la Sibérie, il faut ajouter le chiffre, bien inférieur il est vrai, des hommes relégués en

  1. Voyez Schnitzler, Empire des Tsars, t. III, p. 882. D’après des chiffres publics plus récemment, par M. Anoutkine, il y aurait eu, de 1829 à 1847, un peu moins de 100,000 déportés en Sibérie, dont la moitié seulement, 80,000, auraient été des criminels condamnés par les tribunaux, et le reste se serait composé de vagabonds, de serfs expulsés par leurs propriétaires, de forçats en rupture de ban, etc.
  2. Les chiffres de 1878 se décomposaient de la manière suivante : ¬¬¬
    Condamnés aux travaux forcés 853
    Condamnés à la déportation simple 9,847
    Évadés réintégrés l,064

    Il était resté à Moscou quelques centaines de malades.