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terrible instrument achetaient-ils souvent à prix d’argent la compassion du bourreau pour que d’un coup vigoureux il mît plus tôt fin à leurs tourmens au lieu de s’amuser à découper dans leur chair de sanglantes lanières[1].

L’abolition de ce supplice meurtrier sous le règne de l’empereur Nicolas a rendu à la loi toute sa sincérité. La peine capitale a depuis lors été réellement supprimée; à l’inverse de ce qui se voit en beaucoup d’autres pays, elle n’existe plus que pour les crimes politiques, pour les attentats contre la vie du souverain ou la sûreté de l’état. Doit-on mesurer la sévérité de la répression aux conséquences du crime et au dommage apporté à la société, cette aggravation de peine pour les délits en apparence les moins pervers s’explique aisément. Dans les insurrections contre son autorité en Pologne, en Lithuanie ou ailleurs, le gouvernement ne s’est du reste jamais fait faute d’appliquer la peine capitale. En dehors de là au contraire, en dehors des séditions et des prises d’armes, même vis-à-vis des condamnés politiques, si nombreux dans ces dernières années, on n’y avait jamais eu recours avant l’année courante. La mansuétude de la législation ordinaire réagissait sur les causes d’exception.

Durant tout le règne de l’empereur Alexandre, de 1855 aux premiers mois de 1879, l’échafaud n’avait, croyons-nous, été redressé dans une ville russe qu’une seule fois, en 1866, pour Karakasof, l’auteur du premier attentat sur la personne du tsar.

Les mœurs russes étaient demeurées si contraires à la peine de mort qu’elles ne la laissaient même pas appliquer dans la Finlande, où la législation l’a conservée jusqu’en ces derniers temps. Les tribunaux finlandais avaient beau prononcer, conformément aux lois du grand-duché, des sentences de mort, aucun condamné n’a, croyons-nous, été exécuté depuis la cession de la Finlande à la Russie en 1809, le souverain ayant toujours commué la peine[2].

  1. Dans les dernières années de l’emploi du knout, le maximum légal de la peine avait été abaissé à trente-cinq coups, mais le patient succombait fréquemment au trentième. Il en était de même du supplice des baguettes, usité spécialement pour les troupes. On faisait passer le condamné entre deux lignes de soldats armés chacun d’une baguette de bois dont ils frappaient au passage le malheureux poussé en avant par les baïonnettes de deux sous-officiers. On ne survivait point d’ordinaire à un certain nombre de coups, à deux mille par exemple.
  2. La Finlande qui, grâce à la domination suédoise, a été si longtemps unie à l’Europe occidentale, avait conservé jusqu’à nos jours non-seulement la peine capitale, mais des peines barbares telles que la mutilation. Un nouveau projet de code pénal récemment élaboré par la diète finlandaise d’accord avec le gouvernement impérial supprime la peine de mort, sauf, comme en Russie, pour les crimes de haute trahison et les attentats sur la personne du souverain.