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moins que ce fût la coquetterie ou la volupté, et la nature même de son esprit chaste et penseur répugnait au sensualisme. C’est un des traits qui le distinguent le plus de ses contemporains et qui lui font le plus d’honneur. Il n’a pas eu la pensée ou l’occasion d’aborder certains sujets énergiques, tels que la Niobé ou la Vénus victrix. Aussi ses figures de femmes ont-elles longtemps porté la marque de l’indécision. La première qui soit digne de remarque est une Psyché (1811), jolie étude de jeune fille, demi-nue, avec une draperie nouée autour des jambes. Elle tient la boîte mystérieuse rapportée des enfers et hésite à en soulever le couvercle. Le motif est ingénieux, l’attitude et l’air de tête expriment assez bien une curiosité craintive ; mais l’ensemble est encore un peu froid et embarrassé. Quelques années plus tard, l’inspiration grandit avec une Hébé, pudique et ravissante jeune fille qui présente de la main gauche une coupe, tandis que le bras droit retombe négligemment, tenant l’œnochoé. La grâce de l’attitude, la souplesse du mouvement, la suavité des contours, les plis de cette longue tunique bouffante à la ceinture, tout ici respire la Grèce. C’est une vierge des Panathénées ; mais ce n’est pas davantage, et il y a encore un pas à faire. Bientôt après, et presque en même temps que l’Amour, comme s’il eût cédé au même mouvement d’inspiration, Thorvaldsen donna sa Vénus triomphante.

Au début de sa carrière, il avait déjà abordé ce sujet de Vénus, qu’on lui avait commandé. Peu satisfait sans doute de son travail, il n’en a pas gardé le plâtre, et, comme le marbre est dans un château au fond de la Russie, il n’y a pas moyen de comparer un essai de jeunesse avec un chef-d’œuvre, pour mesurer sur un même sujet la distance parcourue en quelques années. Mais peu importe. J’ai prononcé le mot de chef-d’œuvre et ne crois pas trop dire en parlant de cette Vénus, qui réalise à la fois une idée neuve, un sentiment profond et une forme complète de beauté sculpturale.

Pour un artiste arrivé à la plénitude de ses forces, il n’y avait pas, en ce temps de paganisme et après l’exemple de Canova, de sujet plus attrayant, mais aussi plus difficile. Thorvaldsen voyait autour de lui, en Italie, différens types de Vénus antiques. D’abord les deux marbres immortels du Capitole et des Uffizi qui rappellent, avec vingt autres plus ou moins imparfaits et disséminés partout, la plus fameuse des Vénus de Praxitèle, celle de Gnide. Cette figure ne se recommande assurément ni par l’action ni par le sentiment, car elle n’exprime que la coquetterie, avec une nuance de pudeur. La déesse se laisse voir nue au sortir du bain, comme si elle était surprise, et, bien qu’elle y mette quelques façons, elle n’est point fâchée qu’on la regarde. La Vénus Anadyomène, qui tord ses cheveux