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et suspendu un lièvre. Le corps, un peu penché à droite, est porté sur la jambe gauche; la main droite retient l’épieu renversé, l’autre s’appuie sur la hanche. La tête, légèrement inclinée et à demi détournée, exprime la rêverie. L’attitude est gracieuse et souple, le mouvement de la figure se contracte à peu près de la même façon que le célèbre Faune de Praxitèle, mouvement qui donne le plus bel ensemble de lignes. Et pourtant cette noblesse, cette suprême élégance que présente l’aspect général de la figure, ce n’est encore que la moitié de son mérite ; il faut examiner de près le détail si l’on veut apprécier l’idée, le but, les efforts de l’artiste. Le nom seul d’Adonis réveille l’idée de la beauté absolue, avec ce mélange d’extrême jeunesse et de force, qui devait caractériser un chasseur aimé de Vénus. C’est ce type d’éphèbe vigoureux et alerte, ce moment délicat où la jeunesse a atteint toute sa force et touche à la virilité que Thorvaldsen a rendu avec une rare perfection. Rien n’est plus intéressant que de suivre une à une toutes les parties de ce torse traitées avec les raffinemens de l’art le plus consommé. Les pectoraux sont larges et solides, mais beaucoup moins bombés et charnus que ceux d’un athlète ou d’un guerrier, que ceux du Jason par exemple, les clavicules sont à peine indiquées, les deltoïdes très sobres, mais d’une courbe élégante, les hanches extrêmement fines; enfin l’abdomen s’étend avec une dépression très sensible et des plans lumineux et simples sous l’arcade des fausses côtes, laquelle est bien accusée et largement ouverte, pour montrer la libre respiration d’un homme habitué à la course. On ne pourrait pas diminuer un muscle de ce torse élancé et souple, mais on n’en augmenterait pas un sans altérer le sens de la figure. Elle exprime véritablement un caractère, un type, et à ce point de vue, elle est sans modèle complet dans les galeries romaines, où les plus beaux torses juvéniles, le Mercure, le Méléagre, l’Apollon au lézard ne sont que des copies, plus ou moins privées de cette profonde recherche dans les nuances qui était la gloire de leurs originaux et que Thorvaldsen a si bien devinée. Un seul marbre du Vatican pourrait être rapproché de l’Adonis, quoique les muscles en soient plus nourris, c’est le fameux Coureur de Lysippe; mais il n’a été découvert qu’en 1849, et Thorvaldsen ne connaissait pas davantage, en 1808, le Thésée du Parthénon. A lui seul revient donc l’honneur de sa création. Fidèle en tout à ses intentions, il a exprimé par des jambes fines, sveltes, très sobrement traitées, et par des bras semblables, les mêmes idées de jeunesse, de force naissante et de légèreté. Les pieds sont un peu forts, comme dans la plupart des antiques, mais conviennent bien à un coureur. Tous les détails de la figure, en un mot, se fondent