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à le découvrir et que ses statues mythologiques de ce temps-Là ne soient guère que de bonnes études d’après l’antique, parfaitement correctes et souvent même élégantes, mais dénuées de caractère et d’inspiration. Passons sur cette période de recherches et d’hésitation, et arrêtons-nous devant l’Adonis (1808), seconde conquête de ce laborieux génie.

A force d’étudier les anciens, il finit par leur dérober non-seulement les apparences, mais l’âme même de leur statuaire, c’est-à-dire le secret de faire vivre des figures sans action et de créer l’idéal sans autre procédé que l’imitation choisie de la nature. Le prince Louis de Bavière porta bonheur à celui qu’il appelait son ami en lui demandant un Adonis : l’ami répondit par un chef-d’œuvre qui ne fut alors compris que des vrais amateurs. Canova, rencontrant à la villa Pamphili une dame de beaucoup d’esprit et très liée avec Thorvaldsen[1], lui dit : « Avez-vous vu l’Adonis? Il faut le voir. Votre ami, madame, est un homme divin... Quel dommage que je ne sois plus jeune ! » Ainsi, au comble de sa gloire, le grand artiste se repentait de n’avoir pas osé prendre lui-même la route choisie par Thorvaldsen, et il ne marchandait certes pas l’éloge et l’admiration à un nouveau venu qu’il aurait pu traiter plus sévèrement, comme un écolier qui ne lui demandait pas même des conseils.

Il faut voir, à Munich, quelle noble figure fait l’Adonis, au milieu de la Glyptothèque, à côté d’antiques de premier ordre, tels que le Faune endormi. N’était la fraîcheur du marbre, on pourrait le croire contemporain de ses compagnons, et l’on serait alors surpris de trouver une image d’Adonis traitée dans le style le plus classique, avec toute la science et toutes les délicatesses d’une époque où le culte de l’amant de Vénus était à peine connu en Grèce. Qu’on ait représenté à Alexandrie et à Rome le héros devenu un dieu populaire, cela ne peut être douteux. Mais aucune de ces images ne nous est parvenue, à moins qu’on ne veuille donner le nom d’Adonis à deux marbres du Vatican et du Capitole, reconnus aujourd’hui pour être des statues de Narcisse, demi-dieu de la même famille qu’Adonis et, comme lui, type de la beauté juvénile. Ce sont deux variantes d’un même original agréable et de bon style, mais auquel Thorvaldsen n’a rien emprunté, ni pour l’idée, ni pour les formes, ni pour le caractère de son ouvrage. Abordant un sujet entièrement neuf, il l’a traité d’une manière neuve et tout individuelle. Le jeune amant de Vénus, au retour de la chasse, se repose, négligemment appuyé à un tronc d’arbre sur lequel il a jeté sa chlamyde

  1. Mme Brun, mère de la célèbre comtesse de Bombelles, à qui Lamartine a dédié une de ses plus belles Harmonies.