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aussi avec le Pollux, de façon à représenter l’idéal de la force dans la jeunesse. Une tête plus caractérisée et plus élégante, des épaules et des bras plus souples, une attitude moins théâtrale feraient du Jason, véritable chef-d’œuvre. On comprend le mot de Canova que j’ai cité : ni lui, ni les artistes de son temps ne recherchaient ces proportions exactes de l’idéal humain, cette plénitude et cette justesse des formes qui marque la grande période de l’art grec. Prenant au pied de la lettre une théorie fort contestable de Winckelmann, ils se croyaient obligés, pour figurer des dieux ou des héros divinisés, de supprimer les saillies des muscles, de les augmenter au contraire et même de les boursoufler, quand il s’agissait d’athlètes ou de guerriers. Ce sont les défauts ordinaires de Canova, qui échappaient à ses contemporains et nous gâtent ses plus beaux ouvrages. Entre le Persée et le Jason, aujourd’hui, la palme serait à peine disputée, et les deux marbres, rapprochés l’un de l’autre, montrent tout de suite la profonde différence des deux systèmes.

Le début de Thorvaldsen révélait donc une intelligence toute nouvelle des exemples antiques et une résolution hardie de les suivre, avec une préférence pour la statuaire de grand style, pour les œuvres du siècle de Périclès. Mais il était pauvre, c’est-à-dire condamné pour longtemps encore à n’exécuter que des commandes, trop heureux de les recevoir dans une époque de ruines! Or les amateurs de ce temps-là, entêtés de paganisme et de mythologie, préféraient le plus souvent les images gracieuses aux types virils et robustes. Ce que les premiers protecteurs du jeune artiste lui demandèrent, ce furent des Apollon, des Bacchus, des Ganymède, des Vénus, toutes divinités qui n’ont guère été honorées dans les ateliers de Phidias, d’Alcamène ou de Polyclète. Thorvaldsen se retourne donc vers les écoles de l’âge suivant, vers Praxitèle d’abord, le sculpteur de la grâce par excellence, le créateur de ces types juvéniles de dieux et de déesses, dont les innombrables copies plus ou moins heureuses peuplent les galeries de Rome. Dans cette voie nouvelle, à dire le vrai, il commença par être assez embarrassé. Le sens esthétique de ces modèles si simples et si délicats était plus difficile à saisir. Dans tous les arts d’ailleurs on atteint plus aisément l’effet, les formes solennelles ou grandioses que l’expression naturelle, la simplicité et la grâce. Il ne faut donc pas s’étonner que le jeune artiste, à la recherche de ce qu’il y a de plus profond et de plus insaisissable dans l’art des Grecs, ait mis quelques années