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combattans des frontons d’Égine et l’on ne regrette pas, en visitant le musée de Munich, une restauration habile, qui permet de saisir dans tout son ensemble cette dramatique composition.

Il fallut des sollicitations pressantes et répétées pour arracher Thorvaldsen à son atelier et le ramener à Copenhague, après une absence de vingt-trois ans. L’artiste ne se souciait pas de faire parade dans sa patrie d’une immense réputation qu’il portait très modestement et qui lui était moins à cœur que ses travaux. Au mois d’octobre 1819, il revint à Copenhague, où l’attendait un premier triomphe. Réception solennelle à l’académie en présence de toute la société danoise, banquets, cantates, rien ne manqua à la fête, pas même des salves d’artillerie. Le roi nomma le statuaire conseiller d’état, afin de le recevoir à sa table sans déroger à l’étiquette, honneur insigne et très nouveau pour un artiste danois. Des croix et des cordons, nous n’en parlons pas. Bref, le fils du pauvre Gottskalk devenait un seigneur dans sa ville natale, et il eût pu dès lors y vivre entouré d’honneurs. Mais la patrie de son cœur et de ses pensées, c’était Rome; il en reprit le chemin dix mois après.

Il rapportait de Copenhague des projets immenses, toute la décoration de l’église Notre-Dame, c’est-à-dire trente statues et deux vastes bas-reliefs. Mais ce n’était rien encore. En retournant à Rome à travers l’Allemagne et la Pologne, Thorvaldsen, reçu avec toute sorte d’honneurs par les artistes et les académies des pays qu’il traversait, par les deux empereurs de Russie et d’Autriche, fut partout assailli de commandes non moins importantes : à Varsovie, une statue équestre de Poniatowski, une autre de Copernic, un mausolée pour le prince Potoçki, etc., sans compter les bustes qu’il modelait chemin faisant. Alors s’ouvre dans sa carrière une nouvelle période. Des sculptures mythologiques, il passe aux sujets modernes ou religieux. Déjà, avant son voyage, il avait préludé à cette nouvelle phase par le Lion de Lucerne, que lui demanda la Suisse en 1819. Ce que la gloire de Thorvaldsen a gagné ou perdu à cette transformation, à ce nouvel emploi de son talent, j’essaierai de le dire plus loin. Je veux seulement relever en passant le reproche qu’on lui a sévèrement adressé d’avoir accepté un nombre de commandes auquel la plus longue vie d’artiste n’eût jamais pu suffire. Il n’en put venir à bout qu’avec l’aide de ses élèves ou de ses praticiens, et encore laissait-il souvent les commandes en souffrance pendant de longues années.

L’on s’est demandé comment un artiste loyal avait pu accepter si aisément des travaux auxquels il savait fort bien ne pouvoir suffire lui-même, et on l’a même représenté comme un habile industriel mettant à profit sa réputation, au détriment de son art et de sa dignité. A une aussi grave accusation la réponse, heureusement,