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mettaient en défiance les Romains, de tout temps si jaloux des étrangers. Ce qui fit le plus peut-être pour dissiper ces préjugés et assurer peu à peu dans Rome la réputation de Thorvaldsen, ce furent ses bas-reliefs. Soit souvenir de ses premiers succès d’école, soit plutôt cet instinct vraiment hellénique qui le guidait, Thorvaldsen eut de bonne heure et toute sa vie une prédilection marquée pour le bas-relief. On sait qu’il le porta à la dernière perfection et que dans ce genre la prééminence ne lui est pas disputée. Ce fut dans Rome un cri d’admiration lorsqu’on vit apparaître l’Enlèvement de Briséis (1805), puis Hector chez Pâris, puis le Génie des arts (1808), offert à l’académie de Saint-Luc par le sculpteur au moment de sa réception. Lorsque Napoléon fait annoncer en 1811 sa prochaine venue à Rome et que l’Académie de France songe à décorer pour lui le palais du Quirinal, on demande un bas-relief à Thorvaldsen, qui accepte la commande comme une excellente occasion de faire quelque chose de nouveau et de grand. Il étudie Plutarque et Quinte-Curce, et en quelques mois exécute la célèbre frise de l’Entrée d’Alexandre à Babylone. Le plâtre seulement fut placé au Quirinal, où on le voit encore. Avant que l’artiste eût achevé son marbre, la fortune de Napoléon avait sombré. Personne, hélas ! ne s’inquiéta plus de ce magnifique travail, si ce n’est un amateur italien, le comte de Sommariva, qui acheta le marbre à moitié prix pour le placer dans sa villa du lac de Côme. En revanche l’Atelier de Vulcain, Priam aux pieds d’Achille, la Nuit, vingt autres bas-reliefs admirables, modelés à la même époque et répandus dans toute l’Europe, contribuèrent autant que ses plus belles statues à la célébrité du maître danois.

Il devait d’ailleurs remporter dans son art tous les genres de succès, même les plus inattendus. Vers 1817 le prince Louis de Bavière lui confia un grand travail, la restauration des fameux marbres d’Égine. La mode était encore à cette époque de restaurer les antiques mutilés, usage qui semble maintenant une profanation à notre goût plus sévère et plus scrupuleux. Mais si jamais un artiste a mérité de se faire pardonner cette hardiesse, de se prendre pour ainsi dire corps à corps avec l’art antique, c’est assurément Thorvaldsen. Le prince de Bavière, en lui confiant ses précieux marbres, ne se laissait pas égarer par son amitié. Peu de restaurations ont été aussi difficiles que celle de ces statues, œuvre archaïque sans doute, mais très savante, dont les formes et les procédés attestent, sous des apparences rudimentaires, un art consommé. Il fallait pénétrer les règles de cet art tout à fait ignoré, et Thorvaldsen, quoi qu’on en ait pu dire, a retrouvé ce secret. Ce n’est guère que par la différence du ton des marbres que l’on peut aujourd’hui distinguer les quelques membres qu’il a rendus aux