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ces artistes furent les premiers maîtres de Thorvaldsen, qui se trouva ainsi avoir l’école française du XVIIe siècle pour nourrice ou pour marraine au début de sa carrière. Tous les artistes de l’Europe passaient alors par le même chemin.

L’académie des beaux-arts de Copenhague, installée depuis une trentaine d’années par le roi Frédéric Y dans le palais de Charlottenborg, n’avait encore produit que d’estimables mais obscurs talent lorsque l’honnête Gottskalk Thorvaldsen y présenta son fils, âgé de onze ans, pour l’école gratuite de dessin. Surpris des heureuses dispositions de son fils, il ne voyait pourtant pas en lui un futur artiste, et ne songeait qu’à en faire un ouvrier plus habile que son père et qui pût gagner davantage. Bertel n’avait jamais tenu un crayon, il savait tout juste lire et écrire et, soit paresse d’esprit, soit plutôt que son goût pour le plastique fût déjà une passion maitresse, il se montrait rebelle à toute autre étude que celle du dessin. Mais pour celle-là, il s’y adonnait tout entier, autant du moins que le permettait la nécessité du travail ; car il continuait à aider son père, dont il put bientôt corriger les figures.

A dix-sept ans, l’élève obtint un prix de dessin à l’académie, une médaille d’argent, et deux ans après, une autre médaille, pour un petit bas-relief, son premier ouvrage connu, qui représente l’Amour au repos. Il avait dix-neuf ans. Son père, le jugeant sans doute capable de dépasser tous les sculpteurs des constructions navales, voulut le retirer de l’académie. Mais il était trop tard : les maîtres de Bertel le gardèrent à l’académie et, par une singularité peut-être unique, ce ne fut pas le fils qui redevint ouvrier dans la compagnie de son père, ce fut le père qui devint une manière d’artiste et l’aide de son propre fils.

Ces maîtres, à qui le jeune homme devait sa liberté et sa carrière, n’étaient pourtant pas capables de le conduire bien loin. Dans ses premières œuvres, par exemple, dans le bas-relief d’Héliodore chassé du Temple, où le talent se révèle par la vigueur de l’exécution, Bertel n’est encore que le brillant écolier d’une mauvaise école. Deux bas-reliefs qui suivirent Priam aux pieds d’Achille et Hercule chez Omphale, œuvres indécises encore et sans caractère, mais conçues avec naturel et simplicité, sont le premier témoignage de ses tendances vers une voie nouvelle. Comme tous les vrais artistes, Bertel rêvait de l’Italie. A vingt-trois ans, il entra en loge pour le grand prix de sculpture qui devait lui donner le droit de voyager pendant trois années au moyen d’une pension. Il sortit le premier du concours avec un bas-relief, Saint Pierre guérissant le paralytique, et, par une sorte de prédestination, ce prix de Rome fut en même temps la marque de son affranchissement. Il y a déjà une distance considérable de ses essais antérieurs à cette composition.